L’épilogue se fait attendre. Il concerne la propriété des collections du Château d’Eau avec, pour enjeu, leur sauvegarde en qualité de biens culturels publics. Si la pandémie de coronavirus chahute le calendrier judiciaire, l’audience programmée le 21 avril n’est pas reportée au moment où nous bouclons ce numéro. Elle concerne la procédure en redressement judiciaire de l’association « la Photographie Au Château d’Eau » (PACE), qui gérait la galerie depuis 1981 avant le passage de la structure en régie municipale.

Ce serait l’ultime rebondissement d’un scénario dont l’intrigue connaît un regain de tension depuis l’arrivée de Jean-Luc Moudenc, à la mairie de Toulouse en 2014. L’écriture puise dans l’économique et le social d’une part, dans le juridique et le politique d’autre part. Mobile de la discorde : les collections acquises par PACE au cours de son mandat de gestionnaire ; des biens dont chacune des deux parties revendique la propriété.

À qui les collections ?
« Des biens financés depuis vingt-cinq ans par la mairie de Toulouse et l’argent public par le biais de subventions accordées à l’association », justifie Francis Grass, en charge de la culture au Capitole. « Des biens qui appartiennent à celui qui les achète, quelle que soit la provenance des fonds, répond Denis Rouillard, qui préside l’association. Il faut l’accepter ; d’autant que les municipalités successives ont fait le choix de confier à une association de droit privé une mission culturelle de service public. »
Une expertise établie dans le cadre de la procédure estimerait la valeur des collections à 1,8 million d’euros. Le Capitole proposerait d’en acheter une partie pour 100 000 euros mais PACE, par la voix de son président, conteste cette proposition et dénonce une tentative d’appropriation de ces biens culturels par la municipalité.

Déclarée en cessation de paiements à l’automne, l’association a réagi en initiant aussitôt une procédure de sauvegarde. Objectif ? La protection de l’association et de son président ; le tribunal pourrait prononcer la liquidation de PACE si le paiement de la dette n’était pas honoré. La protection des œuvres également qui, dans l’attente du jugement, auraient risqué la dispersion si elles avaient été mises aux enchères.

Politique culturelle et modèle économique
La confrontation reste difficile, alors que chaque protagoniste souhaite que les collections restent au Château d’Eau par ailleurs. En cause, probablement, les trois années qui précèdent le passage en régie municipale de la structure. Francis Grass, pour la mairie, rappelle la nécessité d’agir pour assainir la gestion de l’association PACE et préserver le projet culturel porté par Jean-Luc Moudenc : valoriser l’œuvre de Jean Dieuzaide, photographe emblématique de la Toulouse décédé en 2003 et fondateur de la galerie municipale du Château d’Eau ; renforcer la notoriété du lieu comme pôle de production, de diffusion et de documentation photographique ; conforter la place de la Ville rose sur la scène de la photographie contemporaine. « Nous étions obligés de passer en régie, précise-t-il. Nous n’avions pas d’autre solution. »
Denis Rouillard conteste, soulignant aussi les contradictions entre le discours et les actes. Le contrôle social de l’Urssaf, en 2009, n’a amené aucun redressement. L’audit des comptes n’a pointé aucune irrégularité sur l’exercice 2016-2017, même s’il a soulevé des interrogations relatives au suivi et à la vérification des dépenses de l’association. Le président de PACE évoque au contraire des manières de faire et des procédés « qui ont causé des souffrances financières et psychologiques, qui ont désorganisé le travail et dégradé ses conditions pour les salariés ». Il dénonce la baisse généralisée des subventions aux associations (- 25 % pendant la mandature 2014-2020, NDLR), qui a contribué à augmenter les charges prélevées directement sur l’association. Il interroge ainsi la politique culturelle conduite depuis le Capitole ; jusque dans son modèle économique et social.

Les arguments s’opposent, les intérêts aussi. Jean-Luc Moudenc porte dès son premier mandat en 2008 un projet qui articulerait un espace d’exposition photographique, une bibliothèque et un lieu de conservation des négatifs (plusieurs centaines de milliers, NDLR) réalisés par Jean Dieuzaide et son équipe entre 1944 et les années 1990. Deux points sur les trois sont résolus à l’heure actuelle. Tandis que la municipalité acquérait en 2016 le fonds Dieuzaide pour un montant de 450 000 euros, auquel s’ajoute le versement de droits d’auteur à la famille, le Château d’Eau devrait subir des travaux d’extension et d’aménagement pour un budget prévisionnel de 3,5 millions d’euros.

Une histoire et un patrimoine menacés
Reste donc le contenu destiné à l’espace d’exposition. Il s’appuiera sur le fonds Dieuzaide et pourrait s’enrichir des collections artistiques et documentaires du pôle photographique ; un fond gelé mais toujours hébergé au Château d’Eau, le temps que le tribunal statue sur la procédure en cours. Francis Grass, pour la mairie, et Denis Rouillard, pour l’association PACE, semblent s’entendre sur une chose toutefois : même à distance, par interview interposée, chacun espère que l’autre changera son fusil d’épaule au bénéfice du confinement actuel, dû au Covid-19.
Sauf que l’enjeu dépasse les contingences juridiques et politiques. Il confère au symbolique. L’esprit de Jean Dieuzaide, le père du premier lieu historique d’exposition, de production et de diffusion entièrement consacré à la photographie en France, sera-t-il « tué » ? Et, avec lui, celui de la galerie que personne ne souhaite transformer en musée, d’ailleurs ? Ni la mairie, ni l’association PACE. Cette question de fond pose, en perspective, celle du rayonnement de la galerie du Château d’Eau et de Toulouse sur la scène de la photographie contemporaine.

Le Château d’Eau, pôle photographique Toulouse
1, place Laganne – 05-61-77-09-40
www.galeriechateaudeau.org 

Dans le cadre de la pandémie de Covid-19, la galerie est fermée au public jusqu’à nouvel ordre. L’exposition de Bernard Descamps « Rencontres » prévue à l’origine du 29 janvier au 19 avril 2020 sera prolongée.

 

Dieuzaide « express »

1921 : Jean Dieuzaide naît à Grenade-sur-Garonne (31).
Août 1944 : il réalise son premier reportage photographique pendant la libération de Toulouse, sous le pseudonyme « Yan », et le premier portrait officiel du général de Gaulle.
1974 : il fonde la galerie municipale du Château d’Eau, dont il est le directeur artistique pendant vingt ans. Lieu de production et de diffusion, le bâtiment a présenté depuis sa création plus de 500 expositions monographiques et thématiques pour lesquelles quelque 300 catalogues ont été édités.
2001 : il est exposé pour la première fois au Château d’Eau, à l’occasion de son 80e anniversaire.
2003 : il meurt à Toulouse.