C’est une BD métaphorique qui pourrait bien devenir un excellent outil de médiation. Parue le 15 janvier aux éditions Jungle, Radical Wars évite l’écueil des clichés pour traiter avec un humour décalé de la radicalisation. Sans parler spécifiquement d’islamisme ou de Daech, Eldiablo, auteur des Lascars (série culte sur Canal+) et Fouad Aouni se sont appuyés sur des témoignages réels pour livrer un petit ovni artistique à portée universelle. Rencontre avec maître Yoda, alias Fouad Aouni.

Vous préparez une thèse en sociologie à la faculté de Montpellier. Comment en êtes-vous arrivé à travailler avec Eldiablo ?
En 2007, déjà étudiant en sociologie et au conservatoire, j’ai rejoint une troupe de théâtre qui a été repérée par le magicien humoriste Éric Antoine. Nous avons alors fait des festivals, un Olympia… puis j’ai travaillé à Paris sur des tournages et écrit quelques chroniques, notamment pour le magazine Respect. Eldiablo, que je connaissais pour ses Lascars, y était illustrateur. Mais ce n’est que des années plus tard, alors que je travaillais à la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse à Marseille) que nous sommes entrés en contact.

Quelle est la genèse du projet ?
Installé à Montréal, Eldiablo avait déjà réalisé trois petites bandes dessinées traitant du djihadisme et de l’extrême droite, et destinées à être distribuées dans les lycées. À partir de cette expérience (Eldiablo connaissait personnellement les membres de Charlie Hebdo mais aussi la sœur d’un des terroristes, NDLR), il a imaginé une métaphore sur le monde de Star Wars qui permettrait de libérer la parole.

De quelle façon avez-vous travaillé ensemble ?
Il m’envoyait les planches et je lui envoyais des bandes-sons. Je lui ai apporté des témoignages directs (Fouad a rencontré une dizaine de personnes dont Adelghani Merah, le frère de Mohammed Merah, NDLR), l’idée étant de voir si l’on pouvait dégager des profils, obtenir des infos sur ce qu’il se passait en Syrie. Toutes ces interviews ont nourri le scénario. Cette BD n’est ni sociologique, ni théologique ni journalistique…

Comment aborder un sujet si sensible sans tomber dans les clichés ?
C’était assez prise de tête, c’est vrai, car il ne fallait surtout pas être stigmatisant ou moralisateur. Mais on avait à la fois peur d’être en dessus ou en dessous de la vérité. Notre rencontre avec Karim Mokhtari, directeur de l’association 100Murs, a été déterminante. Il nous a donné l’axe de l’album : le passage de l’utopie à la dystopie.

Pourquoi l’univers de Star Wars se prête-t-il à ce point de vue sur la radicalisation ?
Les jeunes radicalisés ne sont pas des assassins ou ne cherchent pas la mort, ils pensent être dans le vrai, dans leur quête du bonheur, et sont fascinés par l’engagement. Comme les Jedi qui sont du côté de la force par idéal, ils partent faire le djihad et sont en fait les héros de leur propre film. C’est leur réalité. On est là au cœur du mythe, tel Ulysse, héros qui part vers des contrées lointaines. Ou Luke Skywalker se battant contre les salauds de l’Empire.

À la PJJ, comment travaillez-vous sur la radicalisation ?
La radicalisation est un processus, aussi pour l’interroger, c’est un long travail qui se fait en équipe pluridisciplinaire (éducateurs, psychologues, spécialistes…). Aujourd’hui, l’enjeu social est de construire des contre-utopies. Il y a en France des mouvements identitaires où les racistes et antiracistes sont confondus car ils utilisent les mêmes procédés. Tant qu’on ne sera pas au clair avec nos modèles d’intégration et notre choix de société, ça ne prendra pas. La mixité ne se décrète pas, elle se construit, notamment par la culture qui favorise le dialogue social.

Que retenez-vous de cette aventure ?
Cela a été un challenge et un honneur de bosser avec Eldiablo. Intellectuellement, ma démarche a été honnête, je n’ai ni spéculé ni fantasmé mais bien évoqué des jeunes qui existent vraiment, qui ont eu cette problématique et se sont trouvés dépassés. Certains ont à peine 14 ans ! L’écriture de Radical Wars est volontairement très accessible et les dessins d’Eldiablo facilement lisibles. J’aimerais bien que tous ces jeunes lisent notre BD et qu’elle soit diffusée dans les lycées. Il s’agit du premier objet artistique décalé sur la radicalisation. Il est primordial de ne pas arrêter de réfléchir à tout cela. J’adorerais que soit organisée une soirée Radical Wars pour pouvoir tous ensemble débattre.

Synopsis.

Dans un monde similaire au nôtre, une communauté cristallise les craintes de la société : les fans de Starouars. Une fange d’extrémistes, les Jedistes, appelle à mener une vie de privations, d’entraînement et de méditation. Au terme de ce parcours initiatique, au cours duquel ils n’auront eu de cesse d’approfondir leur haine de l’Empire en se rapprochant de la vraie foi, ils partent sur la planète Tatouine afin de participer au combat final contre les forces du côté obscur.