Qu’attendre aujourd’hui des artistes sinon nous aider à aborder ces mutations auxquelles nous devons tous nous préparer ? Qu’ils rendent concrète l’Anthropocène, cette ère que nous vivons, caractérisée par le sort que nous faisons subir à la planète, les dangers qui nous guettent ? À l’instar de ce Permafrost, l’une des figures du désastre : plus ces terres polaires fondent, plus leur fonte entraîne leur fonte, par les émissions exponentielles de gaz à effet de serre qu’elles relâchent.
Conscients de ces phénomènes, onze artistes de divers pays du monde donnent une forme concrète à ces mutations. Autant de sujets de méditation, d’interrogation et parfois de rire, malgré tout. À suivre quelques clés pour décoder ce qui peut sembler difficile d’accès pour le visiteur non averti.

Premier axe, l’allusion aux catastrophes actuelles ou prévisibles : c’est surtout le Turc Ozan Atalan (photo ci-contre) qui nous interpelle, avec son squelette de buffle posé sur le sol, en référence à l’urbanisation galopante qui fait disparaître cette espèce en son pays. Mais les sujets écologistes ou environnementaux sont présents dès le début de l’exposition avec l’installation vidéo de l’Anglaise Eloïse Hawser. Celle-ci s’interroge sur le recyclage des déchets de type industriel, plus précisément, sur le plan esthétique, ainsi que le prouvent les sculptures qu’elle en extirpe. Le dessin, ultra-réaliste, d’un mur de pneus, de Deniz Aktas, semble aller dans le même sens, d’autant qu’il est complété de morceaux d’asphalte sur lesquels sont posées de fragiles barres de chocolat. Ses confrontations sont toujours polysémiques. Il suffit de bavarder avec les médiateurs pour s’en persuader.

Deuxième axe, l’hybridité : elle est omniprésente et semble incarner cette conscience des mutations dont il est question plus haut. L’Américain Michel E. Smith crée d’une manière binaire des objets récupérés qu’il associe selon des rapports contrapunctiques relevant de l’Homme et de la Nature. Un sac à dos et un poisson-chat, un gant de boxe et un coquillage « acoustique », un clavier d’ordi et des flocons d’avoine, et voilà notre imaginaire sollicité. Le Péruvien Nicolas Lamas conjugue des photocopieuses exhibant leurs viscères à des plâtres d’inspiration antique, ce qui lui permet d’évoquer la fugacité de nos technologies. Le duo Pakui Hardware suspend des formes épouvantables, réalisées à partir de matériaux synthétiques, relevant tous d’une problématique du corps (fausse fourrure, textiles divers, verre) lequel n’est déjà plus tout à fait comme avant. La Française Laure Vigna érige des tuteurs métalliques qui forment une métrique solide à des lambeaux bio-plastiques épars, rehaussés d’encres et pigments colorés. Ici aussi la symbolique est très forte.

Troisième axe, l’humour, ou la dérision, la distanciation : c’est surtout la tendance de Nina Beir et ses divers lavabos, aux bondes bouchées par un cigare aux formes suggestives et riches en effets de sens. Le film d’animation et de fiction post-mortem de Max Hooper Schneider est traité sur le mode burlesque, devant un parterre réel de courges à spaghetti, figurant un public hydrocéphale. Rochelle Goldberg inclut de vrais céleris-raves dans son installation de récipients, en suggérant une contamination par le bronze, garant autrefois de la solidité artistique.
Enfin l’œuvre la plus fascinante sans doute, ce sont les trois vivariums de Dora Budor, avec ses cratères sonores et crachant de la fumée, modifiant la consistance des pigments colorés, choisis pour leur correspondance avec les paysages de Turner. On se laisse aisément immerger dans cet univers d’une autre dimension que nous proposent artistes et commissaires, qui n’en finit pas de soulever des précises questions faute de fournir des réponses définitives.

Du 31 janvier au 3 mai au MoCo Panacée, Montpellier