Neuf cent mille spectateurs ont assisté au spectacle ! Présenté à Toulouse, début novembre, l’épopée urbaine Le Gardien du Temple imaginée par François Delarozière et sa compagnie La Machine est un succès gigantesque, à la démesure de son protagoniste, un minotaure de 14 m de haut et 47 tonnes. Guidé par une impressionnante Ariane, arachnide qui bave et crache de l’eau, le colosse mécanique articulé jusqu’aux poumons a sidéré la ville avant de se retirer dans son immense antre.
Dessiné par l’architecte Patrick Arotcharen et inauguré devant 70 000 visiteurs le 9 novembre dernier, ce nouveau hangar de 6 000 m2 a vocation à réinventer poétiquement l’espace public dans le quartier en pleine réhabilitation de Montaudran (au sud-est de Toulouse), berceau historique de l’aéronautique.

Architecture vivante
Agencée autour de l’ancienne piste aérienne utilisée à l’origine par les pionniers de l’Aéropostale, la Halle de La Machine s’inscrit directement dans un vaste projet urbain baptisé La piste des Géants. Cet ancrage dans l’espace public est au cœur même de la démarche de la compagnie La Machine qui, depuis sa création en 1999, s’attache à transformer le regard que nous portons sur nos cités.
« On est là pour amener du rêve aux gens, assure François Delarozière. Quand une machine circule dans les rues, la ville devient un décor et les gens partagent ensemble une émotion commune. Ce n’est ni descriptible ni scientifiquement prouvé mais vivre ces émotions va nous donner envie d’habiter ces villes, des commerces vont s’ouvrir, le quartier va s’animer… »
Du plus loin qu’il s’en souvienne, François Delarozière, né en 1963 à Marseille, a toujours été animé par la construction d’objets en mouvement capables de susciter une émotion. Tout jeune, il dessinait dans les moindres détails des machines fantastiques, ayant hérité de son père « bricoleur de génie » le sens du défi et de la construction. Après les Beaux-Arts, sa rencontre avec la troupe Royal de Luxe l’entraîne vers le spectacle de rue qui l’ouvre sur un imaginaire collectif, fédérateur de rêve. Occupant une ancienne usine d’équarrissage à Toulouse, il conçoit et dirige la construction du Géant, du Rhinocéros, du Petit Géant, des Girafes… avant de se lancer dans des projets personnels.
Passionné par l’architecture et l’urbanisme, François Delarozière nourrit l’envie de proposer un grand projet de ville. Assisté de Pierre Orefice, ils proposent plusieurs croquis à Jean-Marc Ayrault, alors député maire de Nantes et président de Nantes Métropole, pour accompagner le renouvellement urbain de la pointe ouest de l’île de Nantes. Les Machines de l’Île, emportées par leur grand éléphant (48 tonnes et 18 m de haut), font fureur. Cet équipement touristique et culturel (qui se poursuit aujourd’hui avec le projet de l’arbre aux hérons, sculpture monumentale de 35 m de hauteur) ouvre la voie aux machines de villes, architectures en mouvement qui animent l’espace public, comme les Animaux de la place, à La Roche-sur-Yon, répondant à l’invitation de l’architecte urbaniste paysagiste Alexandre Chémetoff.
Scénographe et metteur en scène, François Delarozière orchestre également des spectacles démesurés, opéras post-punk urbains qui déambulent à Liverpool, Pékin, Anvers ou Ottawa. Pour Toulouse, ville où il a implanté le siège administratif de sa compagnie, François Delarozière a son idée. Et de fortes ambitions. Pourtant, la machine va un temps s’enrayer.

Un projet de plus de 23 M€
Accueilli à bras ouverts en 2013 par Pierre Cohen, alors maire de Toulouse, François Delarozière va essuyer les foudres de multiples opposants (dont Jean-Luc Moudenc) qui ne voient pas d’un bon œil le projet de construction, à Montaudran, d’un immense hangar pour accueillir ses machines vivantes. Face à ce feu croisé de critiques mettant en cause les coûts exorbitants du projet d’un artiste « institutionnalisé », le maire temporise. Et le projet d’un Minotaure totémique conçu pour la ville de Toulouse reste dans les cartons. Contre toute attente, il sera finalement relancé par Jean-Luc Moudenc, devenu maire de Toulouse et président de Toulouse Métropole. « J’aurais préféré qu’il n’y ait pas de confrontation physique entre la Halle et l’espace mémoire mais lorsque j’ai été élu, la Halle était déjà construite, c’est pour cette raison que nous avons imaginé le projet la Piste des Géants », confiait-il récemment. Lors de l’inauguration de la Halle, l’élu a tenu à remercier Pierre Cohen d’avoir eu cette idée avant d’ajouter : « Le succès du spectacle Le Gardien du Temple montre qu’il ne faut pas opposer développement économique et culture. »
Pour accueillir son fils (pas si) prodigue, la métropole a investi 11,4 M€ pour la construction de la Halle, 2,5 M€ pour le Minotaure et 2 M€ pour le spectacle. De son côté, la collectivité s’est engagée à verser à la compagnie 577 000 € par an (compensation décennale pour garantir un tarif d’entrée moyen de 9 €), tandis que la Région Occitanie a apporté sa contribution à hauteur de 1,75 M€ pour la construction et l’aménagement de la Halle.

Le Minotaure, emblème métropolitain
C’est en se perdant dans le dédale des rues toulousaines que l’idée du Minotaure s’est imposée, reliant le mythe à l’ancrage antique de la ville. « Enchevêtrement des rues du vieux Toulouse, symbolique du taureau très présente (martyr de St-Sernin) et figure mythique d’Ariane… toutes ces références et cette terminologie collaient parfaitement avec l’industrie aéronautique et spatiale de Toulouse », justifie François Delarozière. Truffé de nouvelles technologies, le Minotaure embarque désormais sur son dos 50 personnes pour des excursions quotidiennes dans le quartier de Montaudran. Avant de rejoindre chaque soir, la Halle, véritable laboratoire ouvert sur le bestiaire mécanique de la compagnie (une soixantaine de pièces, de la plus petite tenant dans la main à la plus grande, certaines animées par des machinistes).
Pour François Delarozière, le rêve est devenu réalité. Reste à savoir si les Toulousains s’approprieront cet espace structurant comme l’ont fait avant eux les Nantais. La compagnie mise sur 220 000 visiteurs pour la première année d’exploitation.

La Halle de la Machine est ouverte 280 jours par an, du mardi au dimanche. Fermeture annuelle du 7 janvier au 8 février 2019.- 3 avenue de l’aérodrome de Montaudran, 31400 Toulouse.

« La Halle de la Machine est la concrétisation d’un de mes plus grands projets, confie François Delarozière. Toute l’équipe (ingénieurs, techniciens, décorateurs, artistes, soit une cinquantaine de salariés à temps plein auxquels s’ajoutent les intermittents) s’est investie dans cette aventure et a fait grandir l’histoire au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. »