Un moyen original de « décentraliser » les collections des grands musées parisiens ? Pas seulement. Scruter la Joconde dans ses moindres détails, assister à un concert de la Philharmonie de Paris ou encore déambuler dans la Galerie des Glaces du château de Versailles. Et ce sans quitter Beaucaire (Gard). Tout cela est possible depuis le 17 juillet dernier, grâce à la « Micro-Folie » ouverte au 9 allée de l’Oustau. Ce musée numérique permet d’accéder à une grande diversité d’objets culturels par l’intermédiaire d’un vidéoprojecteur, de tablettes et de casque de réalité virtuelle.

« Maison de la culture du XXIe siècle »
Le projet, porté localement par le dynamique Espace de vie sociale (EVS) « Booster », s’insère dans un réseau national d’une grosse centaine de « Micro-Folies ». Un dispositif élaboré par le ministère de la Culture et coordonné par le « parc culturel » parisien de La Villette. L’idée : faire sortir les œuvres de grandes institutions françaises ou internationales de leurs murs et les amener au plus près des territoires grâce aux possibilités offertes par les nouvelles technologies. Douze établissements de renom comme le Centre Georges Pompidou, les musées du Louvre, d’Orsay et Picasso ou encore le Festival d’Avignon sont partenaires de cette opération lancée en 2017. Son nom est inspiré des « folies », structures cubiques modulables conçues par l’architecte Bernard Tschumi dans le parc de La Villette. La base de données du musée numérique comprend quelque 500 chefs-d’œuvre. Elle peut être agrémentée par des travaux d’artistes du territoire issus de musées locaux. « C’est une petite maison de la culture du XXIe siècle. Cette formule peut s’adapter à n’importe quel endroit. On peut trouver des Micro-Folies aussi bien dans des grandes villes comme Marseille ou Lille et même New York que dans des petits villages », indique Didier Fusillier, président de La Villette.

Ainsi, à Beaucaire, la Micro-Folie est installée au cœur d’un quartier classé « prioritaire » dans le cadre de la politique de la Ville. Elle prend place dans un espace de 500 m2 aux allures de « tiers-lieu ». « C’est un lieu de vie partagé où sont organisées de nombreuses activités comme du soutien scolaire ou des ateliers autour des outils numériques. C’est aussi un espace de coworking », décrit Sofyan Carletta, membre fondateur de l’association Booster. Pour lui, l’intégration d’une Micro-Folie à cet ensemble coule de source. « À Beaucaire, un habitant sur deux vit dans un quartier prioritaire. Beaucoup n’ont pas un accès facilité au Louvre. Et là, c’est un peu le Louvre qui vient à eux. Ce qui n’exclut pas que nous puissions aller voir un jour les œuvres en vrai à Paris », souligne-t-il. La Micro-Folie est librement accessible durant plusieurs créneaux horaires préalablement définis. Les tablettes permettent aux utilisateurs de naviguer entre les collections, de choisir des tableaux, des sculptures et même de visionner des opéras dans leur intégralité. La grande qualité de résolution des images autorise de faire des focus très précis sur une peinture. Alors qu’une importante variété de liens oriente les personnes vers plusieurs travaux d’un artiste ou vient replacer une œuvre dans la trajectoire d’un mouvement intellectuel. Textes et vidéos racontent les dessous d’une création ou d’une découverte archéologique. Et des jeux proposent aux enfants de se familiariser avec l’histoire de l’art. Alors que les casques de réalité virtuelle transportent petits et grands sur la banquise, au sommet du mont-Blanc ou encore à l’intérieur d’un temple inca. Ce « musée de proximité », comme l’appelle La Villette, peut par ailleurs être utilisé par des enseignants des établissements scolaires alentour. Les équipes pédagogiques peuvent élaborer des « playlists » personnalisées. Et illustrer de manière inédite un cours sur le cubisme ou l’architecture antique. Deux médiateurs dédiés à la Micro-Folie interviennent auprès des usagers. L’un d’eux est un professeur d’histoire-géographie détaché de l’Éducation nationale. « Il est aussi guide international. Les jeunes sont captivés par ses prestations », commente Sofyan Carletta. Le coût total du dispositif s’élève à environ 50 000 euros, majoritairement pris en charge par l’Union européenne via le programme LEADER (Liaisons Entre Actions de Développement de l’Économie Rurale), la communauté de communes Beaucaire Terre d’Argence et 20 % d’autofinancement. Un investissement que ne regrettent pas Sofyan Carletta et l’EVS Booster : « La dimension interactive et surtout la réalité virtuelle plaisent beaucoup », assure-t-il. « C’est une ressource éducative formidable. Plus de 680 enfants âgés de 6 à 17 ans ont pu bénéficier du musée numérique l’été dernier. »

Art et fab lab
Le tarif d’une Micro-Folie est en réalité très variable d’un territoire à l’autre, en fonction des technologies choisies et des « modules » ajoutés par les porteurs de projet. Ainsi, l’ambitieuse Micro-Folie de Sevran (Seine-Saint-Denis), souvent citée en exemple, comprend un impressionnant écran géant composé de vingt-quatre dalles numériques. 450 000 euros lui sont nécessaires pour la faire fonctionner (une somme qui intègre la rémunération des agents). « Les Micro-Folies sont toutes dotées d’un mur-écran. Mais la ville peut choisir de s’équiper avec neuf dalles ou avec un vidéoprojecteur. Dans tous les cas, les images sont diffusées en haute définition », commente Didier Fusillier. Chaque Micro-Folie possède des spécificités, aussi bien en termes de « ligne éditoriale » (celle de Bastia a par exemple mis l’accent sur la bande dessinée) que sa localisation (celle d’Évry a été aménagée au sein du centre commercial Evry2). L’objectif étant toujours de provoquer des rencontres et des dialogues entre la culture, le multimédia et un territoire. Le projet porté par le Grand Narbonne a ainsi particulièrement mis l’accent sur les nouvelles technologies. Imprimante 3D, brodeuse numérique, découpeuse laser, poste informatique destiné à la confection de contenus réalité virtuelle… La Micro-Folie Ouilocale est implantée au cœur d’un important fab lab. L’ensemble est installé dans les locaux d’IN’ESS – espace dédié à la création d’activités, d’emplois et à l’économie sociale et solidaire. Comme à Beaucaire, elle se trouve au cœur d’un périmètre « Politique de la Ville », le quartier Saint-Jean Saint-Pierre. Une implantation qui « permet de faire le lien avec les associations du quartier, qui sont très dynamiques, le centre socioculturel et d’articuler le tout avec les dispositifs existants », commente André-Luc Montagnier, vice-président de la communauté d’agglomération du Grand Narbonne, en charge de la transition numérique. Ouverte en avril 2019, la Micro-Folie a depuis été appropriée par les habitants, selon l’intercommunalité : « Le musée est accessible sans réservation les mercredis après-midi. Entre vingt et vingt-cinq personnes sont en général présentes. Une association vient aussi nous proposer un tapis de lecture, des goûters sont organisés… C’est un espace de convivialité numérique et culturel apprécié par les habitants », observe Albina Koci, cheffe de projet politique de la Ville pour le Grand Narbonne. L’objectif de la Micro-Folie est également de valoriser des artistes locaux. IN’ESS comprend un restaurant qui emploie des personnes bénéficiant de contrats d’insertion. Une scène peut y être installée afin d’y présenter des spectacles. Certaines Micro-Folies proposent même une véritable programmation et des expositions d’arts plastiques.
Prochainement, les animateurs des Micro-Folies de Beaucaire et de Narbonne désirent faire circuler le musée numérique dans d’autres communes et quartiers de leur territoire. « Le concept de Micro-Folie mobile nous a été proposé par La Villette. Nous aimerions commencer à la déployer dès le mois de janvier. Nous pourrions alors nous rendre dans les villages, les écoles, les salles des fêtes et toucher un maximum de personnes », s’enthousiasme André-Luc Montagnier. « Ce module ambulant peut être rangé dans des caisses de transport que l’on met dans une camionnette. Il s’installe en moins de quatre heures et se démonte en deux heures », détaille Didier Fusillier.

Plusieurs Micro-Folies devraient être inaugurées d’ici janvier 2021 (sous réserve de l’évolution positive de la situation sanitaire) à Perpignan, Port-Vendres et Millau. D’autres sont en cours de définition ou en projet, comme au Boulou ou encore à Thuir, dans les Pyrénées-Orientales. « C’est un succès. Nous avons plus de quatre cents demandes », affirme Didier Fusillier. La Villette s’est fixé l’objectif la création de mille Micro-Folies d’ici 2022. Il y en aura forcément bientôt une près de chez vous…

 

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