Nomination « douloureuse » à la succession de Nicolas Bourriaud au poste de directeur du MoCo pour Numa Hambursin. L’ancien galeriste, directeur artistique du Carré Sainte-Anne et directeur de la programmation de l’espace Dominique Bagouet jusqu’en 2017 rêvait sûrement d’un meilleur accueil. Dernièrement directeur du Pôle art moderne et contemporain de Cannes (PAMoCC) depuis 2018, également en charge du projet d’Art contemporain au sein de l’hôtel Richer de Belleval avec la Fondation GGL Hélénis, il fait aujourd’hui les frais des nombreuses maladresses qui ont accompagné son retour à la tête d’une institution montpelliéraine dédiée à l’art contemporain.

Du public au privé ou la liberté à tout prix
Car on se souvient de la démission de Numa du Carré Sainte-Anne en 2017 sur fond de censure politique, de la part de l’ancien maire de Montpellier Philippe Saurel. Il l’annonçait les larmes aux yeux lors de la visite de presse de l’exposition Jonathan Meese : « La liberté. Elle est au cœur de mon métier de directeur artistique (…) Quand cette liberté est entravée se pose la question de confiance, et quand celle-ci n’obtient aucune réponse, c’est qu’il est temps de la retrouver, sa liberté. » Son retour à Montpellier fait résonner en lui les mots de l’artiste cité plus haut : « L’art est plus fort que n’importe quelle politique. L’art est plus fort que n’importe quelle idéologie. (…) L’art survit à tout car il est le futur et que le futur est à venir. L’art c’est le jeu, le futur et la liberté. »
Du public au privé et du privé au public, pour lui c’est avant tout l’art qui est en jeu. Longtemps, il lui aurait été reproché d’avoir commencé dans le métier en ouvrant une galerie « comme si c’était un péché originel. En France, il y a une vraie cloison étanche entre le public et le privé dans l’art contemporain. Mon parcours est atypique en ce que j’ai commencé par le privé avant de me retrouver dans le public, mais j’en suis très fier et je n’ai pas à en rougir », confie-t-il. Il apprécie dans les institutions privées – comme les galeries – les relations privilégiées entretenues avec les artistes et la possibilité de pouvoir les suivre sur le long terme.

« Une critique humble et émerveillée »
La critique d’art du nouveau directeur du MoCo – pourtant récompensée par le prix AICA France en 2018 – semble elle-même controversée dans ce milieu que Numa Hambursin juge « très autoritaire ». Il « rêve d’une critique humble et émerveillée qui, en cessant de sacraliser l’art contemporain, lui rendrait sa véritable importance et l’inscrirait parmi les plus belles choses de la vie ». Une humilité et un discours modeste qui ne témoignerait que d’une ambition, « celle d’assumer le doute, l’ignorance et l’erreur de jugement, l’humanité finalement – derrière le critique d’art ». Sa vision de l’art contemporain, contre la pensée monolithique, entend ainsi « ré-enchanter le monde, par les mots, la poésie, par une sorte de beauté du vocabulaire, de l’écriture » qu’il exerce dans sa critique littéraire de l’art.

Une vision de l’art ancrée dans le territoire montpelliérain
Numa Hambursin l’affirme, c’est avec l’incertitude de vouloir « replonger immédiatement dans cette sphère publique » qu’il accepta le poste de directeur du PAMoCC en 2018. En vue de la perspective réjouissante de « créer de toutes pièces un grand centre d’art contemporain sur trois étages sur la Croisette au sein de La Malmaison », dans une ville ayant accueilli les plus grands peintres comme Picasso ou Picabia, sans avoir matérialisé son histoire de l’art contemporain par des lieux d’expositions.
De même, c’est avec la volonté « d’ancrer l’art contemporain dans le territoire qui l’accueille » que le Montpelliérain dit avoir imaginé le projet artistique de la fondation GGL Hélénis, depuis 2016. Au cœur de l’Hôtel Richer de Belleval, Numa Humbursin s’est laissé guider par l’idée centrale d’inscrire ces œuvres dans la postérité « afin de penser l’art en termes de continuité historique ». Car cet hôtel datant du XVIIe siècle, situé au cœur du luxueux quartier de la place de la Canourgue, va bientôt accueillir le nouveau restaurant gastronomique des frères Pourcel, un hôtel Relais & Châteaux, ainsi qu’un espace d’expositions temporaires d’art contemporain de 100 m2. L’idée principale est de « remplir l’édifice d’œuvres d’art pour en faire un palais » et de l’animer par des conférences et des rencontres.

Des choses merveilleuses, accessibles à tous 
À l’hôtel Richer de Belleval, Numa Hambursin renoue ainsi avec son amour de jeunesse pour les arts classiques, en rébellion avec l’univers contemporain de sa mère la galeriste Hélène Trintignan. Jeune, « trois chocs esthétiques » l’ont marqué : au musée du Prado, à Madrid, qui a scellé son obsession pour la peinture et son rêve d’ouvrir un jour un musée ; au musée Fabre qui lui enseigna les grands maîtres ; enfin, au Musée Atger où il forma son œil au dessin.
Aujourd’hui, s’il est si fier du projet de la fondation GGL Hélénis, c’est parce qu’il s’appuie sur les fondamentaux que Numa Hambursin avait établis au Carré Sainte-Anne : proposer des expositions et des œuvres « qui ne sont pas là pour choquer le bourgeois mais qui s’adressent à tout le monde et montrent que, lorsque l’on travaille l’art contemporain avec attention et en prenant le temps, on peut faire des choses merveilleuses, accessibles à tous ».

À la tête du MoCo, l’institution tripartite imaginée par son illustre prédécesseur, Nicolas Bourriaud (le centre d’art la Panacée, l’école supérieure des Beaux-arts et l’Hôtel des Collections), Numa Hambursin entend donc bien poursuivre dans cette voie-là, en dépit des tumultes provoqués par sa nomination.

 

Légendes photos :

1 – Numa Hambursin, aux côtés de l’artiste Robert Combas (à gauche) et Philippe Saurel, ex-maire de Montpellier. Parmi les crucifix, au Carré St-Anne, en 2014, la photo rappelle combien la politique culturelle peut s’avérer cruelle.
© archives FM/artdeville

2 et 3 – L’Hôtel Richer de Belleval, place de la Canourgue, propriété de la fondation GGL Hélénis où d’importants travaux de restauration ont été engagés. © MC Lucat

 

Une nomination controversée, sur fond de maladresses.

Une véritable polémique a donc entouré la nomination de Numa Hambursin à la tête du MoCo. Aux avant-postes, les étudiants de l’école supérieure des beaux-arts de Montpellier (ESBAM), très inquiets. Voilà des mois qu’ils soutenaient la candidature de Nicolas Bourriaud, initiateur de l’institution originale qu’est le MoCo. Né en juin 2019, elle réunit le centre d’art La Panacée, l’école supérieure des beaux-arts et l’Hôtel des collections, tout en créant des passerelles permanentes entre elles. Pour les étudiants, « cet écosystème » représente autant d’opportunités d’emplois locaux en tant qu’artiste exposant, médiateur ou encore monteur-régisseur d’exposition. La notoriété et l’influence internationales de Nicolas Bourriaud ont également ouvert des perspectives de résidences et d’expositions à l’étranger, notamment avec le programme « Saison 6 » duquel les étudiants attendaient beaucoup. La peur de voir ces portes se refermer est réelle, profonde et générale : « Le MoCo, tel qu’il a été pensé par les équipes en place, existe depuis à peine 14 mois, et a fermé pendant 3 mois eu égard au confinement. Laissez-leur du temps ! Laissez-nous du temps ! Ne balayons pas d’un coup tout ce qui a été construit, ne supprimons pas ce qui constitue désormais un de nos pôles d’excellence », implore leur pétition. Mise en ligne quelques semaines avant que le vote du conseil d’administration se tienne le 23 mars dernier et entérine la nomination de Numa Hambursin, elle réunit désormais 1 400 signataires.

Querelle de personnes
Étudiants mais aussi professeurs, tous redoutent par ailleurs que d’autres acteurs du monde de l’art, venus dans la traîne de Nicolas Bourriaud, se détournent de Montpellier, scène artistique désormais identifiée « comme destination d’intérêt aux visiteurs avertis et collectionneurs », poursuit la pétition. « Déjà, de nombreux étudiants disent vouloir aller étudier ailleurs », déplore Marie, porte-parole des étudiants.
Parmi les professionnels, en effet, même soutien unanime, même déception. « Son plus grand tort est d’avoir été mis en place par l’équipe précédente », explique un membre du conseil d’administration, pour qui « l’aventure de Bourriaud à Montpellier fut une belle aventure ». Pour Christian Gaussen, ancien directeur de l’ESBAM, « on emprunte un chemin qui inquiète. Et ce qui me fait mal, c’est qu’on a voté pour lui », dit-il à propos de Mickaël Delafosse, maire et président de Montpellier Métropole dont Numa Hambursin était le favori. « Aujourd’hui, il se comporte comme un homme de droite. On ne peut pas discuter, sinon tu passes pour un traître. » Dans ce dossier, l’homme de l’art estime qu’« on confond élite et élitisme. Il faut s’inspirer du sport, associer culture et pratique. À Montpellier, on a des équipes premières en foot, hand, rugby… ». Et nous, on laisse partir Zidane ? « Oui ! » sourit-il, sans vouloir blesser, « Numa. Je n’ai absolument rien contre lui. » Citant le dynamisme et rayonnement international de la danse à Montpellier, grâce au festival Montpellier Danse, Christian Gaussen rappelle : « Quand Frêche a fait venir Bagouet, il l’a laissé tranquille. » Il déplore comme la plupart des observateurs, la querelle de personnes, à l’origine de ce « gâchis » et cette situation de « mal-être ».

Maladresses partagées
On se souvient d’ailleurs des déclarations étonnamment offensives de Nicolas Bourriaud lors de l’ouverture du MoCo : « Au-delà de mon cas personnel, même si je n’ai pas le souhait de partir, si Philippe Saurel venait à ne pas être réélu, je me poserai la question. Voire même elle est presque déjà réglée. Parce que je n’ai pas envie de travailler avec des gens à qui il faut tout réexpliquer. » (artdeville n° 63) Nul besoin de chercher plus d’explications, en effet, au départ du Prince ainsi déchu.

Mais la maladresse a existé de part et d’autre. Si nul ne songe à accabler Numa Hambursin, il s’est accablé lui-même : « Il a dit du mal de tout ! » témoigne un acteur clé de la délibération, qui pointe également le fait qu’ « il n’a[it] aucune expérience des écoles d‘art. » Les étudiants, qui ont pu profiter d’une fuite des dossiers de candidatures, confirment : « Il dénigre notre formation, nos profs ! » explique leur porte-parole.
Et de fait, pensant calmer les choses, Numa Hambursin en rajoute une couche : « Quels que soient les défauts qu’on peut trouver au MoCo, c’est formidable qu’il existe. Il faut donc se battre pour qu’il survive… » Le centre d’art serait ainsi bel et bien menacé ?

Michaël Delafosse n’est pas exempt de tout reproche. Traquant le maire et président de Montpellier Métropole dans les endroits où il aurait pu se rendre, trois groupes étudiants l’ont finalement tous rencontré, chacun leur tour, quelques jours avant celui de la nomination. Cordial et attentif à leurs inquiétudes, le maire-président aurait toutefois fini par s’agacer : « Vous feriez mieux de penser à votre avenir. » Hélas, en cette période Covid qui les touche de plein fouet (artdeville n°68) et qui, précisément, les empêche de travailler, c’est bien de leur avenir dont il est question ! Le tacle n’en a été plus que « douloureux », regrette Marie.

Dans un souci d’apaisement
Expression finale de la maladresse et du malaise qu’a engendrée cette nomination, la majorité des 2/3 des votants du conseil d’administration, indispensable, n’a pas été atteinte. Quelques heures de flottement ont été nécessaires pour que soit finalement validé le nom de Numa Hambursin, à quelques dixièmes de voix près.
Selon des membres de ce conseil d’administration, « les représentants de l’État* ont regretté le départ de Nicolas Bourriaud, mais dans un souci d’apaisement ont finalement voté dans le sens du maire ». Autre expression du malaise, un membre du jury a quitté la délibération après l’éviction au premier tour de Nicolas Bourriaud. Enfin, selon le site lokko.fr, l’un des concurrents qualité de la short-list, la personnalité internationale de l’art Ashok Adicéam n’a pu réprimer un courrier à l’attention de Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, et de Michaël Delafosse pour exprimer ses « doutes » quant à la procédure opaque « bruyante et controversée » ayant mené à la nomination de Numa Hambursin.

Pour l’heure, du côté des étudiants, la résignation est difficile. Un recours reste à l’étude car, outre le problème de la majorité de 2/3 non atteinte, « le dossier de candidature de Numa Hambursin ne comportait pas de budget, ce qui est obligatoire », explique une source. Un avocat se tient prêt. Le débat entre étudiants se poursuit, mais la perspective de pérenniser ce climat délétère pendant le temps de l’instruction, « au moins un an », n’augure pas de lendemain qui chante. Parmi leur rang, on hésite.

Encourager à la synergie
De son côté, Numa Hambursin assure vouloir maintenir la programmation d’expositions du MoCo – notamment la Biennale du territoire « Sol » ou la venue de la grande collection africaine Zinsou – et encourager à la synergie entre les lieux culturels de la Ville. Il espère calmer la contestation. Toujours sur lokko.fr, le nouveau directeur annonce pour l’Hôtel des Collections une programmation diversifiée empreinte « d’humilité et de pédagogie », proposant notamment « de grandes expositions d’été monographiques d’artistes internationaux tels que Neo Rauch, Cecily Brown, Kader Attia, Marlene Dumas, Francesco Clemente et Nicole Eisenman ». Il annonce aussi « un festival Urbain et Orbi dédié au street-art traitant de ses origines modernes (Brassaï, Kijno, Pignon-Ernest, Villéglé, Haring, Basquiat, mais encore la Figuration narrative voire Supports-Surfaces), de l’émergence d’une scène féminine, de son caractère universel et politique (Israël et Palestine, continents africain et sud-américain), de sa présence à Montpellier et de son influence ». Et finalement « des expositions des artistes de la résidence Black Rock de Kehinde Wiley à Dakar et un travail particulier en direction des quartiers de la ville ».

Face aux étudiants des Beaux-Arts, Numa Hambursin promet de convoquer son propre réseau – on pense à la Galerie Templon à Paris – et révèle que Barthélémy Toguo lui a d’ores et déjà proposé un partenariat pour permettre à des étudiants de quatrième et cinquième année de partir en résidence à Bandjoun Station, au Cameroun.
Sa politique d’acquisition des œuvres est aussi tournée vers les jeunes artistes, de quoi peut-être insuffler un vent d’espoir pour les étudiants des Beaux-Arts.

 

Légendes photos :

4 et 5 – Numa Hambursin (© DR) et Nicolas Bourriaud © FM/artdeville

6 – En 2009, Hélène Mandroux, ancienne maire de Montpellier, lance la transformation des bâtiments qui abriteront le centre d’art La Panacée, sous l’œil de Michaël Delafosse (à droite), alors adjoint à la Culture, de qui La Panacée est un peu le bébé. Ce qui impose sans doute au directeur de la structure un caractère diplomate. © FM/artdeville

7 – Barthélémy Toguo, artiste peintre, propose une résidence au Cameroun aux étudiants de l’ESBA. – CC wikipedia KAG1LP2MDIAKITE

 


 

Hôtel Richer de Belleval, fondation GGL Hélénis : Visite guidée par Numa Hambursin.

Alors que Montpellier possède peu de monuments historiques d’époque, l’édifice semble avoir résisté au temps et saisit par son « millefeuille historique, des fresques du XVIIe, en passant par les pierres du Moyen Âge à l’architecture du XIXe, comme si chaque siècle avait laissé son sédiment. » C’est une sorte « d’incroyable labyrinthe construit pendant 800 ans ». Ce lieu hors du commun « nous touche car il est lié à l’histoire intime de notre ville » – en tant qu’ancien hôtel de ville – et participera, selon Numa Hambursin, à la fierté des Montpelliérains aux côtés des places et des jardins qui en font sa renommée.

Pas question de dénaturer le monument, selon lui, avec des « objets vulgaires monumentaux comme Jeff Koons a pu le faire à Versailles ». L’idée est « de travailler sur des sujets de toute éternité comme l’amour, la mort, l’histoire et le temps, afin de s’adresser aux visiteurs d’aujourd’hui, mais surtout de parler à ceux d’après en représentant notre époque en termes d’excellence de la création ». Les œuvres pérennes disposées aux plafonds sont celles d’Abdelkader Benchamma (une fresque réalisée à l’encre à même la voûte dans l’entrée évoquant l’Alchimie), Jan Fabre (et ses milliers d’élytres de scarabées assemblés durant de longs mois dans l’ancienne salle des mariages), Marlène Mocquet (et son univers onirique et poétique peuplé de créatures fantastiques dans l’escalier d’honneur) et Jim Dine (et sa mosaïque monumentale de plus de 30 m2, réalisée en partenariat avec la Manufacture de Sèvres et la galerie Templon, composée de carreaux de grès et de 105 cœurs déployés en une infinité de couleurs dans le hall).

L’idée sera de démocratiser le lieu en l’ouvrant aux écoles, partenaires privilégiés, mais aussi en assurant un prix d’entrée « modeste ».

 

Légendes photos :

8 et suivantes : Dans l’Hôtel Richer de Belleval, les œuvres de Jim Dine, Marlène Mocquet, Abdelkader Benchamma et Jan Fabre (respectivement, de haut en bas).