Figure mal connue de l’histoire de l’urbanisme en France, sir Patrick Geddes (1854-1932) attendait son heure. Elle est arrivée, avec la transition écologique aujourd’hui nécessaire qui offre une caisse de résonance internationale à la pensée de cet avant-gardiste. Biologiste et urbaniste écossais, il opposait au fonctionnalisme étroit de l’industrialisation du bâtiment une ville en symbiose avec la nature. Le « savant vagabond » fit rayonner sa vision jusqu’en Inde et à Tel Aviv (lire encadré). Mais c’est à Montpellier qu’il vécut ses dernières années, de 1924 à 1932.
Alors que des médias nationaux s’intéressent désormais à l’héritage intellectuel de Geddes, son legs à l’État – le Collège des Écossais, voisin de l’école d’architecture, dans le quartier des facultés – est aussi un jardin de trois hectares, ses bâtiments flanqués d’une tour d’inspiration médiévale, victimes du temps. C’est là, sur l’actuelle propriété de l’École d’architecture de Montpellier, que Patrick Geddes avait fondé en 1924 une cité internationale pour accueillir les étudiants étrangers disciples de sa pédagogie.

Une machine à remonter le temps
« Il y a, chez tous les Geddessiens, une stupéfaction à découvrir ce lieu d’enseignement resté dans son jus, avec son pavillon des Écossais et son pavillon des Indous auxquels devait être ajouté un pavillon des Américains. Son concepteur l’avait choisi parce que implanté sur la première colline d’où il voyait la mer et la montagne, en l’occurrence la chaîne des Cévennes », détaille Luc Doumenc, architecte et urbaniste, président de l’Association Patrick Geddes France. En précurseur du « penser global, agir local », Geddes prétendait vouloir y « regarder la ville d’en haut pour mieux la comprendre », la tour d’observation offrant dans le dispositif d’enseignement une démonstration de cet enfantement de la ville par le lieu, au fondement de sa pensée. « Pour lui, le site est une notion essentielle pour comprendre la ville en symbiose avec la nature. À l’instar des premiers villages construits entre 10 000 et 6 000 avant J.-C. sur des escarpements afin de laisser les terres cultivées dans les plaines, chez Geddes, le terroir nourricier doit être situé à proximité des entités urbaines », définit Luc Doumenc.

Quel devenir pour le Collège des Écossais ?
Montpellier, qui devait accueillir les 7, 8 et 9 octobre la 5e édition du Sommet des maires du Pacte de Milan, pourra-t-elle faire rejaillir la pensée de Geddes au cœur de ces débats (à l’heure du bouclage, les débats ne sont pas clos.) ? Ce Pacte veut précisément utiliser l’alimentation comme levier de transition écologiste et humaniste en développant des systèmes alimentaires durables connectés aux villes. Raviver à cette occasion la mémoire visionnaire de Geddes serait une manière d’écarter les menaces qui pèsent sur son jardin. En 2014, le Collège des Écossais, bien que sanctuarisé après son inscription au titre des Monuments historiques (2013), faisait l’objet d’une étude de faisabilité sur les usages potentiels à donner à ce terrain. « Mais le classement ne sert à rien, on est toujours sous l’emprise de l’actuel plan local d’urbanisme (PLU) qui autorise la construction sur ce site en capacité d’accueillir 1 400 m2 de logements », s’inquiète Luc Doumenc. Une manne qui pourrait un jour sembler providentielle pour renflouer les caisses de l’État. Mais l’association Patrick Geddes France entend poursuivre la mobilisation autour de la défense de ce site remarquable. En projet, en 2020, une large concertation entre les parties prenantes (étudiants, enseignants, habitants du quartier, Rectorat, etc.) vise à « faire émerger un plan d’urbanisme de détail annexé au PLU et opposable à des tiers ». Une grande université d’été dans la lignée des Survey chère à Patrick Geddes, ces enquêtes de terrain minutieuses et pluridisciplinaires qui révèlent le génie des lieux.

Tel-Aviv célèbre Geddes

Pour le centenaire de Tel-Aviv (Israël) – la cité sortie des sables en 1909 –, les médias internationaux saluent l’héritage de Patrick Geddes. En 1925, il planifiait le développement de la future Ville Blanche inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco qu’il avait conçue comme une « cité-jardin », dessinant des rues verdoyantes, des chemins et des parcelles agricoles. Chaque lot était occupé par une construction indépendante dont la surface au sol ne devait pas excéder le tiers de celle du jardin qui l’entourait. Une caractéristique dont a fait sienne l’actuel plan d’urbanisme métropolitain de… Montpellier3M.

Le Carré bleu

Au Collège des Écossais, Patrick Geddes compte parmi ses étudiants André Schimmerling, juif roumain rentré dans la résistance. Devenu architecte, ce dernier propagera la pensée de son mentor en créant l’association Patrick Geddes France et en fondant, en 1958 en Finlande, la revue d’architecture moderne Le Carré bleu, toujours diffusée.