Mardi 17 mars, 12h15. Une dizaine de policiers fait le pied de grue devant un immeuble modeste quartier gare Saint-Roch, tandis qu’un individu s’agite à sa fenêtre torse nu, visiblement perturbé. « C’est un patient en fin de traitement. Vu le contexte, il est sans doute très très anxieux. Dès qu’on a frappé, on a vu que ça n’allait pas », explique une infirmière de l’hôpital La Colombière. Alors que cette soignante venait prendre des nouvelles de son patient, accompagnée d’un collègue, ils se sont heurtés à un homme en pleine crise. « On va en avoir de plus en plus. Qu’est-ce qu’on va en faire ? », poursuit-elle. Une réflexion quasi prophétique.

« Qu’est-ce qui est réel, qu’est-ce qui ne l’est pas ? »
Avec la crise sanitaire, les personnes présentant des troubles psychiatriques sont dans l’impasse. Plus question de sortir, ni d’aller à la rencontre de ces spécialistes pourtant incollables sur leurs antécédents parfois complexes. Pour le docteur Sébastien Hannoir, psychiatre à la clinique Rech, à Montpellier, la situation est totalement « inédite ». « Il n’y a absolument rien de comparable ces dernières années », affirme-t-il. Si tous les patients de la psychiatrie ne réagiront pas de la même manière, force est de constater que chez les cas psychotiques, isolés par nature, « on peut observer une amplification de leurs propres problématiques. Pour eux, cela devient compliqué. Ils ont très peu ou plus du tout de contacts sociaux et familiaux. Faire leur course ou croiser des gens dans la rue avait une certaine valeur pour ces gens ». Sans compter l’accumulation d’informations anxiogènes à la télévision. Concrètement, le médecin redoute la réactivation de « thématiques délirantes sous-jacentes. Ils vivent le monde extérieur comme hostile. Ils me disent : “j’ai du mal à faire la part des choses, j’ai l’impression d’être dans une atmosphère de fin du monde. Qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui ne l’est pas ?” »
Plus grave, le docteur Sébastien Hannoir se dit surpris par le nombre de nouveaux patients, dont les antécédents n’avaient jamais laissé présager un risque quelconque. « Ces nouveaux patients n’ont jamais consulté en psychiatrie. Ils se retrouvent en confinement et à défaut de pouvoir accéder à des rendez-vous classiques, ils se dirigent vers les urgences. J’ai de plus en plus de demandes pour des tentatives de suicide ou des idées noires. Il y avait certainement une fragilité qui a émergé avec le confinement », analyse-t-il. Au bout du fil, des individus partagent plusieurs fois par jour un sentiment « d’oppression », l’impression que ne subsiste plus « aucune porte de sortie ».
À l’hôpital La Colombière, le professeur Courtet confirme cette sensation de courbe ascendante dans ses services en début de pandémie. Un événement accentué par un pic saisonnier classique d’états maniaques, il faut aussi l’avouer. Mais quelle que soit la pathologie rencontrée, le Covid-19 est dans tous les esprits. « Le résultat est que l’on doit s’attendre à observer davantage de troubles du sommeil, d’anxiété, de dépression, de stress, de débordements émotionnels, de colère, d’irritabilité, et des états de stress post-traumatiques », détaille le médecin.

« On s’attend à ce que les choses se cassent la figure »
À l’hôpital Gérard Marchant, de Toulouse, le docteur Radoine Haoui se dit aussi inquiet pour les personnes âgées, « très angoissées par la gravité que peut entraîner le virus. Or, c’est la population qui a déjà un taux de “suicidalité” supérieur à la moyenne, note-t-il. Et de manière générale, on s’attend chaque jour à ce que les choses se cassent la figure ». Depuis le début du confinement, la plupart des hôpitaux psychiatriques de la région ont mis en place un service de téléconsultation soutenu. A la clinique Rech, les psychiatres ont appelé tous leurs patients pour leur dire qu’ils restaient à l’écoute. A Toulouse, le téléphone sonne parfois pour un simple « mal de tête ». « Ils ont peur d’avoir de la température, on les rassure, on leur propose d’appeler un généraliste, confie le docteur Haoui. Certains nous demandent comment faire leurs courses. Il arrive d’ailleurs qu’on y aille pour eux lorsqu’ils ne sont pas assez autonomes. Nous pouvons aussi les accompagner pour qu’ils puissent s’aérer un peu. » Des attentions qui dépassent largement le simple cadre médical.
Mais à Montpellier, le professeur Courtet pense d’ores et déjà à l’après. « Pour la Psychiatrie, la vague qui sera probablement plus silencieuse arrivera après le confinement. L’enjeu consiste à organiser les filières de soins pour prendre en charge les personnes qui auront été le plus victimes des nombreux stress générés par l’épidémie et le confinement. Les soignants qui sont actuellement « au front », les patients Covid et leurs familles, les endeuillés, les patients psychiatriques, les personnes chez lesquelles l’impact psychologique aura été important et celles qui auront à subir les conséquences économiques et sociales devront bénéficier de cette attention. L’ensemble de la Psychiatrie sera mobilisé et nous œuvrons pour mettre sur pied le Centre Ressources du Psychotraumatisme, dont le rôle sera majeur », argue-t-il. Un après dont le contrecoup risque donc de s’avérer tout aussi intense.
Retour au cœur du quartier gare Saint-Roch, le 17 mars. « Il faut le sédater et l’emmener. Mais on n’a pas de véhicule adapté, alors on attend », explique le policier. « Hier, on a eu le même cas, mais ça s’est mieux terminé. Il est sorti avec sa bière, c’était une Corona… Non, je plaisante ! », sourit-il. Un moyen de conjurer la tension qui promet déjà d’aller crescendo. Quand les pompiers débarquent, les forces de l’ordre déclenchent enfin l’intervention. Des coups sur la porte, des bruits de vaisselle qui vole en éclat… L’homme résiste.
« Vous pouvez y aller », finit par autoriser un des agents s’adressant aux pompiers.


« Vigilans » accrue !

Créé il y a trois ans, le dispositif « de recontact des suicidants en Occitanie » nommé Vigilans est plus que jamais sur le qui-vive. Depuis le début de la pandémie, le CHU confirme en effet une augmentation du nombre d’appels de patients, souvent démunis face à la fermeture de certains services. Ils avancent des problèmes sociaux, familiaux, financiers, ou en lien direct avec les difficultés de ce confinement qui accentue troubles psychiatriques, violences conjugales, et sentiment de solitude…
Depuis le 23 mars, un partenariat entre la « Croix-Rouge Écoute » et les Cellules d’urgence médico-psychologique permet d’orienter au mieux les appelants en fonction de leur détresse.
En cas de besoin, contactez le 0800 858 858.