Éditorial 65

Par Fabrice Massé

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Pour une architecture économe – plutôt que frugale – , heureuse & créative

»

Une maison

Certains mots écorchent l’oreille. On a beau les comprendre, en saisir le sens profond vertueux ; par un effort intellectuel, faire le tri entre ce qu’ils renvoient de négatif et la pertinence de leur énoncé à l’instant T… Pourtant rien n’y fait. Une petite voix intérieure, un murmure, semble invariablement répondre : « Cause toujours ! ». C’est le cas du mot « frugal », appliqué à l’architecture.

Pour tout un chacun, bâtir est un pari sur l’avenir, qu’on aimerait le plus rose possible (ou vert, désormais, c’est selon). Sa maison, conçue pour soi – sinon par soi – pour sa famille, ses amis, se doit d’être protectrice, solide et, autant que faire se peut, grande et belle selon ses moyens, ses besoins, son orgueil… Extension de soi, exosquelette immobile, identitaire, le home sweet home du commun des mortels occidentaux se doit encore, jusqu’ici, d’être tout sauf frugal.

Le mot « décroissance » heurtait aussi les tympans, il y a peu. On ne l’entend d’ailleurs plus si souvent. Un mot « obus », potentiellement explosif, censé provoquer le débat, admettait l’idéologue Serge Latouche, économiste célèbre pour avoir théorisé ce concept de décroissance : « Passer d’une jouissance d’avoir, à une jouissance d’être. »

Ainsi, pour les rendre plus audibles, les mots « frugal », « décroissance » – ou encore « sobriété » chère à Pierre Rabhi, héraut du mouvement écologique Colibri – ont-ils été dotés du qualificatif « heureux ». Le manifeste d’architecture d’Alain Bornarel, Dominique Gauzin-Müller et Philippe Madec entend, quant à lui, bâtir selon « une frugalité heureuse & créative » (lire dossier p. 10/18).

Mais, bon… avouons-le : qui rêve de se priver ? Même pour s’assurer des lendemains qui chantent ?

Or, il ne fait désormais aucun doute que notre maison Terre est, hélas, bien plus réduite qu’on ne l’imaginait ! Et que de la manière dont nous l’entretenons, dépendent le bonheur et le bien-être de notre famille, humaine et non humaine.

Il faut bien s’y résoudre. Mais entre le sentiment de sécurité qu’assure « l’avoir » – dont on constate qu’il peut néanmoins se réduire par les crises écologique, économique, sociétale… – et l’épanouissement que confère « l’être » – qui perdure et augmente par la solidarité, la santé, la culture…– faut-il trancher pour autant ?

« Il existe une voie pour concilier économie et écologie », tentait de rassurer le président Macron, mardi 4 décembre à Montpellier, lors des Assises de l’économie de la mer. En opposant ces mots, M. Macron semblait cependant en douter lui-même ! Comment l’économie pourrait-elle en effet aller sans l’écologie ? Les deux vont de paire et il est urgent de comprendre.

Pour continuer de bâtir et entretenir notre maison commune, signons donc tous le manifeste de Bornarel, Gauzin-Müller et Madec, pour une architecture frugale, heureuse & créative. Car, au fond, qu’importe les mots désormais. Pour être ou rester heureux, mieux vaut disposer de biens (avoir) qui aideront à concevoir l’avenir ensemble. Et l’architecture économe – plutôt que frugale – en est un, en effet.