» La piste du règlement de comptes, sur fond de trafic de drogue, est privilégiée. » Une impression de déjà-vu, lu ou entendu ? Et pour cause : ces derniers temps, cette phrase est reprise en boucle dans les médias, quasiment mot pour mot. Dans différents quartiers de Béziers, Montpellier, Nîmes, Perpignan, Sète ou Toulouse, y compris en plein centre-ville comme à Narbonne, des faits d’une rare violence, similaires, se succèdent au point que l’expression ne saurait décrire une simple loi des séries. Rien qu’entre fin juin et mi-septembre, on ne dénombre pas moins de six fusillades au sein de la ville rose. Et le 1er novembre à Montpellier, une dizaine d’hommes encagoulés ont échangé des tirs nourris en plein jour, laissant les riverains de la Paillade sous le choc.

« Je me méfie de tout le monde »
Au lendemain de ce dernier affrontement qui a fait un blessé, la vie a repris son cours à la Paillade. À la mi-journée, le lundi 2 novembre, les rames de tram bondées s’ouvraient sur un quartier meurtri. Meurtri, mais vivant. Aussi vivant que le deal, qui s’expose encore au nez des habitants comme si de rien n’était. Ce jour-là pourtant, des commerçants ne cachaient pas leur colère. « Les jeunes sont là du matin au soir pour faire leur commerce. Et nous, on est fatigué. Il faut nous protéger ! », raconte un vendeur. Dans ce quartier populaire de 20 000 âmes, ce n’est pas une première, au point que certaines y développent d’étonnants réflexes. « Aujourd’hui, moi je fais attention. Je regarde les voitures qui passent, je me méfie de tout le monde », raconte un jeune homme. Le lundi 16 novembre, à deux pas de la tour d’Assas, lieu de la dernière fusillade, les parents d’élèves de l’école Balard se sont fendus d’un communiqué pour dénoncer « la violence extrême » dans laquelle le quartier s’enfonce un peu plus chaque jour.
« Nous sommes très perturbés par ces événements, confie Nadia Rhezlani, parent d’élève. Au moindre coup de pétard on sursaute, on se cache… Nous, nous sommes juste à côté des points de deal et on a vraiment peur. J’ai l’impression que se promener avec un couteau ou une arme est devenu normal pour les jeunes. Et si l’arme tombe devant l’école ? Et si un petit la ramasse ? », s’interroge-t-elle.

« Pour nous, les courses-poursuites, c’est la routine »
Ces préoccupations, les riverains du Chemin-Bas d’Avignon, à Nîmes, les partagent en tous points. Ici, c’est l’école Bruguier qui est littéralement cernée par les réseaux. Entre mai et juin 2020, l’établissement a subi trois intrusions de dealers tentant d’échapper à la police. La coursive qui leur servait d’échappatoire jusqu’à la cour de l’école – et par laquelle la police ne peut légalement entrer sans y être invitée – a depuis été calfeutrée. Mais au-delà de l’insécurité et de l’angoisse des balles perdues, l’omniprésence des guetteurs tout autour de l’établissement offre une étrange routine aux bambins du quartier. « Parfois, ils arrêtent un petit, ils lui donnent quelques euros et lui demandent d’aller lui chercher un sandwich. Nos enfants les défendent ; ils trouvent ça normal », explique Salwa, maman d’un élève de l’école. Le soir du meurtre du jeune Anis, le 15 juin dernier, les images de son agonie et les cris d’horreur de sa sœur ont tourné en boucle sur Snapchat. « Une élève nous a proposé de regarder la vidéo en classe, elle n’a pas vu le mal », raconte un enseignant de l’établissement. Et Leila d’énumérer le quotidien hors norme auquel les habitants du quartier sont soumis : « Pour nous, les courses-poursuites, c’est la routine. On a des rallyes devant chez nous, il y a des feux d’artifice la nuit et les enfants nous expliquent que les dealers font ça pour fêter le million d’euros… D’ailleurs, à chaque fois que j’entends un bruit de pétard, j’ai le cœur qui bat. »
Pour ces mères, le sentiment d’impuissance est flagrant. Difficile de lutter contre l’appât du trafic. D’anciens élèves « de bonne famille » ont été happés par les réseaux. Une fatalité qui les hante. « La plupart du temps, les guetteurs sont des garçons. Il y a peu de filles. Alors depuis que j’ai un garçon j’ai cette idée en tête. Il n’a qu’un an et demi mais j’ai peur », soupire Salwa.

Effets d’annonce
Face à cette flambée de violence que plus personne ne nie, les élus s’avouent dépassés. Coudes serrés, affligés et inquiets, le maire de Montpellier Michaël Delafosse et huit parlementaires héraultais de tout bord ont adressé un courrier au ministère de l’Intérieur le lundi 24 août pour évoquer « la dégradation sécuritaire » du secteur. Idem à Nîmes, où le maire Jean-Paul Fournier a adressé un courrier au ministre dès le 7 juillet pour l’inviter à venir « constater les carences des dispositifs de sécurité du quotidien ». Même initiative à Toulouse, le 29 octobre. L’occasion pour le ministre de l’Intérieur de multiplier les promesses de renfort d’effectifs çà et là. Une réponse comptable qui laisse perplexe Bruno Bartoccetti, secrétaire national du syndicat Unité SGP Police-Force ouvrière délégué au sud de la France : « C’est vrai que nous manquons cruellement d’effectifs. Ajouter 50 policiers à Montpellier, cela permettra de résoudre quelques problèmes, mais cela ne nous permettra pas d’enrayer le trafic de drogue », prévient-il, convaincu que ces annonces manquent de conviction politique. « Nicolas Sarkozy, ça n’a jamais été ma tasse de thé, mais il a eu le mérite de créer les GIR (Groupes d’intervention régionaux) qui regroupaient gendarmes, policiers, douaniers et trésors publics. Si on a vraiment envie de toucher les réseaux mafieux, c’est avec ces éléments-là qu’on pourra le faire. [M. Sarkozy est par ailleurs critiqué pour avoir supprimé la police de proximité – NDLR] Al Capone est tombé à cause de l’argent. Mais pour casser le marché, il faut une réelle volonté politique », souffle encore le policier.

Citer Al Capone dans ce contexte n’est pas neutre. Le sinistrement célèbre gangster américain fit en effet fortune dans le trafic d’alcool de contrebande durant la prohibition dans les années 1920. Or cet automne encore, le think tank Terra Nova* publiait une nouvelle étude préconisant « une légalisation raisonnée » du cannabis pour « assécher les trafics ». L’occasion, selon ses auteurs, d’enrayer « l’embolie judiciaire » et de permettre aux forces de l’ordre de se focaliser sur les plus gros dossiers à l’heure où la France caracole déjà en tête des pays européen en termes de consommation de cannabis. Ces réflexions, de plus en plus nombreuses, ont le mérite d’apporter des solutions pour sortir enfin de l’impasse.

Prisca Borrel

* Terra Nova est un cercle de réflexion de la gauche progressiste française et européenne (Wikipédia)

 

Interview

Anne Yvonne Le Dain, ex-députée de l’Hérault (PS), co-auteure du rapport d’information « L’augmentation de l’usage de substances illicites : que fait-on ? » (avec Laurent Marcangeli, Assemblée nationale – 2014)

Qu’est-ce qui vous a amenée à vous saisir d’un sujet si polémique ?
Il a été proposé comme groupe de travail par la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée. J’ai été la seule candidate ! D’habitude, pour rédiger un rapport de l’Assemblée nationale, quel que soit le sujet, il y a toujours foule de députés, parce que ça permet une certaine reconnaissance. Là, c’était une patate chaude ! Et j’ai toujours été favorable à la légalisation du cannabis. Pas des autres drogues. J’ai toujours pensé que c’était inexorable, les chiffres le montrent : on a 15 % de la population qui est consommatrice, plus ou moins régulière. C’est énorme ! L’autre problème, c’est qu’on est face à une augmentation considérable de la « qualité » des produits sur le marché, c’est-à-dire du taux de substances actives. Les techniques agronomiques d’amélioration variétale sont passées par là et la productivité augmente. Les tonnages en circulation se multiplient et on est passé à des concentrations en principes actifs, toxiques, de 3 à 8 %, ce qui déjà est beaucoup, à 32 %, ce qui est dangereux.

C’est dangereux et il faut le légaliser. Ça semble évidemment paradoxal !
Oui, il faut maîtriser le marché pour pouvoir contrôler les produits vendus. Car on n’y arrive pas. C’est ce que j’ai proposé. Et on casse ainsi le trafic, l’argent facile, les armes qu’il y a derrière. La fraude, ce ne sont pas que des GoFast qui arrivent du Maroc, c’est aussi des flingues, du racket, de la violence, de l’intimidation. Il y a de la souffrance. Ceux qui s’imaginent être libres de fumer leur joint pour le plaisir et pouvoir s’en détacher doivent savoir qu’au moins un de leurs copains passera en addiction. L’alcool aussi est dangereux mais n’est pas interdit ! Quand j’étais jeune, les hommes qui buvaient deux litres de vin par jour, c’était monnaie courante. À 50 ans, ils avaient des cirrhoses. On a oublié ces choses-là.

Ce débat a pourtant déjà eu lieu auparavant…
Oui, mais moi, je l’ai défendu jusque dans l’hémicycle. J’ai déposé des amendements et je les ai défendus. Tout le monde a voté contre, à part une collègue, dont j’ai oublié le nom.

Comment expliquez-vous cela ?
La peur. La peur de l’électorat, du retentissement médiatique.

Mais le but est de lutter efficacement contre l’insécurité, les kalachnikovs !
Le but est de faire face à un fait de société, comme l’alcool, le tabac ou les violences faites aux femmes qui depuis trop longtemps tuent. Il faut que les gens l’entendent, que la presse ait envie de le relayer. La loi de 70 est restée trop longtemps dans les mêmes termes qu’aujourd’hui. La seule chose qui a changé, c’est l’inscription, dans une loi de l’Éducation nationale, que les projets éducatifs des collèges et lycées devaient avoir un volet « stupéfiants ». C’est stupéfiant, justement. Écrire quinze lignes suffisait pour que la loi soit respectée ! Certains s’en saisissent, évidemment, quand le ou la proviseur-e en fait un cheval de bataille, pour une raison ou pour une autre, ou l’infirmière, ou un prof, cela influe. Ce qui se passe alors est remarquable. Les associations, les services sociaux, les policiers et gendarmes, etc. se mobilisent… mais sinon, rien.

La dépénalisation, avec désormais une simple amende pour les usagers, c’est une bonne idée ?
Oui. Au moins, ça décriminalise le fait. On paye l’amende, point. Sinon, le fisc vous court après… C’est un début, dans une société peureuse. Mais ça n’aura qu’un temps parce que c’est une erreur : comme le tribunal, cela rend les choses invisibles pour les autres, le commun des mortels, les parents et grands-parents qui croient leurs jeunes à l’abri, etc.

Ce sera inefficace ?
Si, un peu, au début, parce que, quand l’amende est posée, le fisc peut aller prélever directement sur les revenus officiels. Mais pour les revenus occultes ou pour les gens qui ne déclarent pas ? Ça va calmer le jeu un peu. Les gens paieront mais resteront seuls face aux trafiquants. Cela ne changera rien au fond. Il faut légaliser pour que ce soit en vente et visible. Et donc stigmatisant. Comme le tabac, l’alcool, le fait de battre sa femme, le viol et les attouchements, etc., les addictions sont un fléau. Prenons ça en main ! La responsabilité individuelle passe par une responsabilité collective. Rarement l’inverse. Les violeurs ont été condamnés parce qu’il y a eu un mouvement social puissant qui a fait que les femmes sont respectées ! La drogue, le haschich, le shit doivent devenir visibles. On accompagnera collectivement ceux qui, seuls, n’arrivent pas à s’en passer. Comme aux Pays-Bas, y compris pour les salles de shoot (pour l’héroïne). Arrêter de condamner pour des raisons morales : être efficaces pour des raisons de santé. Publique et privée.

Vous êtes donc favorable à la création d’une sorte de Seita* dédiée au cannabis ?
Oui, au moins au début. Je suis pour la construction d’une société à capitaux nationaux pour contrôler la qualité du produit, sa distribution, les volumes vendus, etc. Il y aura débat sur une distribution par les pharmacies ou par les bureaux de tabac. Dont acte. Je suis pour les bureaux de tabac, ils ont une mission de « service public » et font moins peur. Les trafiquants auraient l’herbe coupée sous les pieds, si j’ose dire…

Donc, ça casse le trafic et ça rapporte ?
Cela cassera le trafic, les armes du trafic, la petite délinquance et la police pourra se concentrer sur autre chose : la délinquance de rue qui empêche les vieilles dames de porter leurs bijoux, et les jeunes d’affirmer leur « style ». C’est ridicule ? Non, C’est la vie. On est tous fiers de porter des belles choses. Sauf qu’elles se revendent et donc se volent. Actuellement, ce sont les trafics de shit qui, comme le grand banditisme, occupent la police et la gendarmerie, avec la paperasserie et les délits routiers. On légalise le cannabis, comme beaucoup de pays et d’États le font depuis un peu plus de cinq ans. Et, oui, en France, cela rapportera de l’argent au fisc, les chiffres sont dans mon rapport [120 M€ par an. La lutte contre la drogue (toutes confondues) coûte quant à elle 2 Md€ – NDLR]. Est-ce que c’est mal ? Non. Toutes les activités sont taxées, dans le monde entier. Cela rapportera à la puissance publique bien plus que des amendes ! Mais il faudra que l’argent gagné aille à la prévention, à l’éducation, l’information, aux soins et au suivi des malades. Pas de taxes noyées dans le budget général !
Propos recueillis par Fabrice Massé
* Régie d’État qui disposait du monopole de la culture, de la fabrication et de la vente de tabac en France.

 

Légaliser pour mieux sécuriser : premières dissensions dans le camp LR

Le 26 septembre 2020, coup de tonnerre dans le petit monde des Républicains. Gil Avérous, maire de Châteauroux, Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, et Arnaud Robinet, maire de Reims, publiaient une tribune dans le JDD pour réclamer la légalisation de la consommation de cannabis. Estampillés LR, ces élus le scandent sans détour : « La prohibition du cannabis « à la française » est un échec. » Une mesure à laquelle leur camp politique s’est toujours opposé, mais qui serait selon eux « le meilleur moyen d’anéantir le trafic et de ruiner les trafiquants ». Cet argent sale, estimé à « 1,2 milliard d’euros en France », ronge nos villes. « C’est pour lui que les revendeurs et guetteurs colonisent les immeubles en terrorisant leurs habitants », s’indigne le trio.
Ce texte a aussitôt divisé la classe politique, au point que 80 élus LR se fendent d’une tribune en retour, publiée dans le JDD du 4 octobre, pour réaffirmer leur opposition à toute velléité de légalisation. « Psychose, schizophrénie, dépression, échec scolaire, déscolarisation, désocialisation… Les drames liés au cannabis sont nombreux. Nous partageons les mots du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin : « La drogue, c’est de la merde ! » », lancent-ils, craignant que l’expérimentation de l’usage médical du cannabis, qui devrait démarrer en janvier 2021, ne soit prétexte « à la légalisation de la consommation de « joints » ». Parmi les signataires figurent Vivette Lopez, (sénatrice du Gard) et Arnaud Viala (député de l’Aveyron), mais aussi nombre de leurs homologues issus des quatre coins de la France comme Éric Ciotti (député des Alpes-Maritimes), Bruno Retailleau (sénateur de la Vendée), ou encore Gérard Longuet (sénateur de la Meuse).

La question

De multiples études et l’expérience d’autres pays montrent que la légalisation du cannabis ne fait pas augmenter la consommation, enraye le trafic illégal et améliore la sécurité sanitaire et sociale dans les villes. Au vu des faits de violences extrêmes observés ces derniers mois aux quatre coins de la région, seriez-vous prêt à rouvrir le débat sur la légalisation du cannabis, et en quoi cette mesure pourrait-elle (ou pas) contribuer à endiguer ce fléau ?

 

VERBATIM

Arnaud Viala (député LR de l’Aveyron)
« Cela risque de précariser les populations les plus fragiles. »

Non, pour moi on touche à quelque chose de fondamental. Si nous rendons accessible au plus grand nombre cette substance, dont on connaît les méfaits sur la santé et le comportement, nous nous engageons dans une voie périlleuse. Avec la légalisation, il est possible que les jeunes n’en perçoivent pas les dangers, et tombent dans des pratiques addictives qui les poursuivront toute leur vie.
Deuxièmement, si on rend légal quelque chose que l’on considère comme nocif au motif qu’on n’arrive pas à endiguer un problème, pourquoi ne pas traiter d’autres sujets de la même manière ? Cela pourrait tourner autour du trafic d’armes, ou autour d’autres substances par exemple… Je crois qu’il ne faut pas soigner le symptôme, mais la cause. Donc il faut absolument qu’on arrive à faire en sorte que dans ces lieux où règne le trafic de drogue, celui-ci ne soit plus le seul exutoire économique, humain, social… Il faut traiter des maux plus profonds.
Enfin, ce que je demande c’est une étude qui me prouve que si on légalise, on ne précarise pas encore davantage les populations les plus fragiles vis-à-vis de ce trafic. Les gens en difficultés sociale et humaine pourraient se retrouver dans une situation ingérable si le cannabis était en accès libre. Les études actuelles le démontrent très mal.

Patrick Vignal (député LREM de l’Hérault)
« Nous devons expérimenter. »

Il y a deux ans, je disais que j’étais pour la légalisation ; aujourd’hui je suis partagé. Je n’ai pas envie de trancher tout de suite. Si on légalise, on arrête ce trafic et on soulage les flics… Mais à la fois, est-ce que cela n’ouvrira pas la porte à la diffusion de drogues plus dures ? En fait, je pense que nous devons expérimenter les choses. Il faut prendre une région-test pendant deux ans, créer un conseil scientifique avec des médecins, des policiers, des magistrats, des représentants de quartier… et on voit le fonctionnement. On observe si les réseaux se réfugient sur autre chose, on regarde qui vient s’alimenter, on examine les indicateurs de pauvreté pour voir si le quartier s’appauvrit. Il faudrait qu’on mène ce débat-là, mais je pense que la classe politique a un peu de mal avec le courage.

Bruno Bartoccetti (responsable du syndicat Unité SGP Police-Force ouvrière pour le sud de la France)
« Les réseaux vont avoir besoin d’argent. »

Côté police, j’y vois deux dangers. D’abord, si on arrête le trafic de cannabis, on n’arrête par forcément le réseau et la vente illicite. Au-delà de l’échec de notre société sur ce thème, il faut se demander vers quoi les trafiquants vont se tourner. Sur un autre trafic encore plus fort, qui impliquerait des bandes rivales plus nombreuses. Les drogues proposées sur les réseaux risquent d’être plus violentes, et les prix, plus bas. Le danger sanitaire serait donc plus grand. Est-ce qu’on est en capacité de sécuriser notre société face à tout cela dans le cas où nous légaliserions cette substance ?
Ce qui est certain, c’est que les réseaux vont avoir besoin d’argent. À Marseille, une cité qui fonctionne bien rapporte 20 000 euros de chiffre d’affaires par jour, en vente de cannabis essentiellement.
Le deuxième danger, c’est qu’en légalisant la vente de cannabis en France, nous allons faire venir un tourisme qui lui sera lié. Est-ce que nous allons savoir gérer cette situation-là ? C’est ce qui inquiète aussi les policiers.

Jean-Marc Jacquet (médecin addictologue)
« L’encadrement de la consommation de cannabis facilitera l’accès aux soins. »

Je ne sais pas si la légalisation sera en capacité d’enrayer le trafic, mais ce qui est sûr, c’est que continuer à faire l’autruche ne nous mènera à rien. Nous savons qu’un jeune de 17 ans sur deux a déjà consommé du cannabis, donc tout cela est d’une hypocrisie totale. Je pense qu’une libéralisation est souhaitable, mais il faut qu’elle soit encadrée dans des magasins spécialisés, où l’on vérifie l’âge des clients pour s’assurer qu’ils ne sont pas mineurs, où l’on soit capable de vous donner des brochures de prévention et de vous orienter vers un centre de soin si vous avez un problème de dépendance… Et contrairement à ce que disent les gens qui s’opposent à cette mesure, la légalisation ne rendra pas l’accès à ces drogues plus facile. C’est se mettre le doigt dans l’œil, et c’est mal connaître le terrain, parce qu’en réalité c’est déjà ultra-accessible. Baladez-vous à la cité Gély (à Montpellier) par exemple. Là-bas, les tarifs sont affichés sur les murs et les gens attendent leurs clients assis à une table… Aujourd’hui, à Montpellier, vous avez même des contacts sur Snapchat qui vous proposent de vous livrer à domicile à tout moment du jour et de la nuit ! Les consommateurs n’ont même plus besoin de se déplacer dans les cités. À l’inverse, l’encadrement de la consommation de cannabis facilitera l’accès aux soins puisqu’il permettra d’engager le dialogue avec des gens dépendants qui se cachent de peur d’être stigmatisés.

Gérard Onesta (conseiller régional d’Occitanie, ex-vice-président du Parlement européen – EELV)
« Le meilleur soutien du système actuel, c’est la mafia. »

Travailler sur la légalisation, ce n’est pas prôner le laxisme, c’est même tout le contraire. Il faut qu’on s’implique intelligemment, un peu comme quand on a commencé à distribuer des seringues aux toxicomanes pour lutter contre le sida. Il y a un vrai travail à faire en matière de santé et de prévention, mais il y a aussi une réflexion philosophique à mener. Celui qui s’attaquera vraiment à ce sujet devra s’attendre à perdre 10 points dans les sondages de popularité… Et il aura intérêt à avoir de bons gardes du corps, parce que le meilleur soutien du système actuel, c’est la mafia. On l’a vu avec la prohibition de l’alcool aux États-Unis, c’était aussi le grand moment d’Al Capone.
Le système prohibitionniste actuel est un échec total. Je pense qu’il faut désacraliser le mot drogue, et qu’il faut avoir une nouvelle approche vis-à-vis de tous ces produits. Car il est contre-productif de dire que l’alcool, les psychotropes et le tabac sont tolérés, quand le petit joint est devenu insupportable. D’ailleurs, en termes de morts et d’impact sur la société, le jour où le cannabis tuera autant que les trois autres, on en reparlera. Je me souviens avoir fait rire pas mal de monde au conseil régional, lorsque celui-ci soutenait des plantations de tabac. Je disais que le tabac allait tuer un milliard de personnes dans le siècle à venir. Ils ont réagi comme si le chiffre était farfelu, mais non. Or le tabac, on peut l’acheter au coin de la rue, et les buralistes ont fait partie des commerces jugés essentiels dès le premier confinement.

Contactés : Jean-Luc Moudenc (maire LR de Toulouse), Michaël Delafosse (maire PS de Montpellier), Jean-Paul Fournier (maire LR de Nîmes), Sylvia Pinel (députée PRG du Tarn-et-Garonne), Agnès Langevigne (conseillère régionale EELV) et Françoise Dumas (députée LREM du Gard) n’ont pas donné suite.

 

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