Les travaux nécessaires à l’obtention du label de Patrimoine mondiale de l’humanité (artdeville n° 51) n’épargnent pas le quartier Gambetta. En marge de l’écusson, les ambitions de la Ville bouleversent aussi son boulevard. Parmi les échoppes à kebabs, des touristes semblent égarés. Mais non. Janus au visage du deal, de la prostitution et des problèmes sociaux côté pile, Gambetta offre en effet un profil bien différent côté face : un bouillonnement associatif culturel débordant d’énergie qui déplace les lignes et les clichés. Ces visiteurs du soir se rendent au Spot, point de départ d’une déambulation artistique urbaine originale où les façades sont jalonnées de fresques et de graffitis, grâce à l’impulsion de l’artiviste Cédric Crouzy.

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Cédric Crouzy devant le Spot

Galerie d’art à ciel ouvert
Il y a encore quatre ans, les murs du quartier Gambetta étaient une page blanche, ou plutôt grise vu le délabrement de certains immeubles. Inspiré par le travail de l’artiste JR, Cédric Crouzy a l’idée d’une galerie d’art à ciel ouvert, affichant ses photos de voyage sur quelques murs, pour les partager avec le plus grand nombre. Titulaire d’un BTS aménagement paysager, formateur pour des animateurs et tuteur pour des jeunes sortant du cursus scolaire, il a pas mal bourlingué avant de faire rouler son skate sur l’asphalte nîmois, en 2010. Sa passion pour la photographie lui vient de cette culture et du « lifestyle » qui l’accompagne : « Le skate a un côté très urbain, tu passes un quart du temps à faire des tricks (figures NDLR) et le reste à explorer la ville. » Le jeune homme déborde d’enthousiasme. Il « assaille régulièrement », selon ses mots, le service jeunesse de la Ville pour obtenir des locaux à loyer modéré pour des artistes nîmois. Agacé de n’être pas pris au sérieux, il lance le fanzine Sarcasme et crée en 2012 l’association Bullshit, littéralement « merde de taureau ». « J’avais l’impression que la tauromachie était la culture monospécifique de Nîmes, et comme les cultures urbaines n’étaient pas prises en considération, Bullshit, qui signifie aussi conneries, était parfait », explique Cédric. Puis, poussant la porte d’un garage au sol jonché de seringues, lui vient l’idée d’y aménager un atelier où il invite ses amis à exposer. L’événement n’a rien d’officiel, mais c’est la première des cinq Expo de ouf qui suivront. Tatoueurs, artistes des Beaux-Arts, graffeurs, sculpteurs… au total 26 artistes nîmois et avignonnais participent à ce rendez-vous éphémère, haut lieu en devenir des cultures urbaines et alternatives, dont la 6e édition aura lieu en septembre.

S’éveiller à la citoyenneté
Le tout premier graff monumental du quartier Gambetta, L’homme volant, est l’initiative de Yann Roubeau, architecte, militant « pour le développement de lieux d’urbanité dans des espaces délaissés ». Lassé de la mauvaise image véhiculée par le quartier Gambetta – « alors qu’en coulisses, tout le monde se connaît et qu’il y a un vrai mode de fonctionnement » –, il propose au collectif La Ruche d’investir la façade de sa maison, à l’angle de la rue Enclos Rey et de la rue de la Vierge. « Cela a permis de montrer aux élus que ce quartier à l’abandon avait un vrai potentiel. L’art urbain investit les friches et les zones industrielles ; plus rarement l’espace public », souligne Yann Roubeau, président du Comité du quartier Gambetta où il travaille depuis deux ans en concertation avec une vingtaine d’associations (Le Périscope, le CRIC…).
« En touchant directement au cadre de vie des citadins, on assiste à des évolutions, des mutations d’un point de vue social, architectural et entrepreneurial », explique Cédric Crouzy qui avoue avoir commencé à s’éveiller à la citoyenneté avec son Expo de ouf 2. En contact avec un bailleur social (un Toit pour Tous), il a obtenu l’autorisation officielle de réaliser des graffs ou collages sur quelques bâtiments. Caos, Grumo et d’autres artistes réalisent leurs fresques. Le quartier commence à s’égayer. Et la chance lui sourit lorsqu’un propriétaire privé lui donne carte blanche dans un immeuble de 500 m2, au 8 rue Enclos Rey. Le Spot devient un lieu de référence (le bail a été renouvelé en janvier dernier). « On a proposé de valoriser le bâtiment en échange d’un loyer modéré. Comme nous ne voulions pas dépendre d’une subvention, nous louons l’étage à des bureaux et ateliers partagés pour de jeunes indépendants talentueux qui proposent des initiatives en termes d’économie sociale et solidaire (9 bureaux pour une vingtaine de locataires NDLR). Cette mutualisation des besoins et des compétences donne lieu à un écosystème dynamique ». Clairement hybride et géré par une dizaine de bénévoles très actifs, le rez-de-chaussée accueille une salle d’exposition, un bar, une cantine, un « shop de skate » (vente de matériel et initiation) et prochainement une salle de concert.

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Une œuvre de Hazo

Chez Mémé, café citoyen et culturel
Depuis le 2 janvier 2017, Cédric Crouzy est médiateur pour les quartiers Gambetta et Richelieu, un dispositif d’état qui lui permet, officiellement cette fois, de mettre l’accent sur le social. Objectif ? « Créer du lien intergénérationnel, orienter les primo-arrivants et les habitants vers des services publics ou privés susceptibles de répondre à leurs attentes, faciliter et favoriser la prise d’initiative et le dialogue. » Et c’est Chez Mémé, rue Fléchier, que la dynamique du quartier bat son plein. L’atmosphère y est cosy, canapés et fauteuils vintage, palettes de récup en guise de bar, bibliothèque – participative bien sûr – et atelier de réparation de vélos (en échange d’un coup de main, on peut se procurer un vélo pour 5 euros). Géré par des bénévoles, mis à disposition par Un Toit pour Tous, le lieu favorise les débats d’idées relayés par les deux « services civiques » qui viennent d’être recrutés. Chez Mémé, ça brasse, ça discute, ça invente, ça s’anime. On a le choix entre participer à la permanence du Comité de quartier, s’inscrire à des ateliers de couture, de cuisine, de salsa, de détente, d’aide aux devoirs, ou juste prendre un kawa… bref, le lieu est au service des associations pour 20 euros par mois. Un peu plus loin, au coin de la rue, un bâtiment, prêté par le même bailleur social, accueille des artistes en résidence. « Après trois ans d’activité, je suis content du résultat, s’enthousiasme Cédric Crouzy. L’obtention d’autorisations au niveau de la commune reste toujours compliquée (un dossier par fresque et des refus fréquents, NDLR), mais quelques particuliers ont bien joué le jeu. Nous avons de nouveaux projets, notamment sur le quartier Richelieu et c’est très stimulant. Car je reste convaincu que le meilleur moyen d’aider les habitants, sans leur tenir la main, c’est d’améliorer leur quotidien par des actions transversales, qui les amènent à se projeter dans un futur plus équilibré, plus durable. » Vers un nouveau territoire via les cultures alternatives ?

Chez Mémé, ouvert jeudi et vendredi de 16h à 19h et le WE de 14h à 19h.
Le Spot : le jeudi de 18h à 22h, le samedi de 14h à 00h30 et le dimanche de 14h à 19h. Ouverture de La Cantine tous les midis.
Visites guidées de L’expo de Ouf tous les WE (5 €/pers).

www.associationbullshit.com