Le défi était particulièrement gonflé. Portés par les vents, à 70 m de hauteur, Vincent Farret d’Astiès, ingénieur en aéronautique, et Benoit Pelard, président de la Fédération française d’aérostation, ont réussi cet été le vol d’essai d’Odyssée 8000, aérostat manœuvré à l’énergie solaire. Décollé du Pouget (34), le ballon a parcouru 300 km jusqu’à 1 500 m d’altitude pour atterrir à Sauviat (Puy-de-Dôme). Alors qu’en 1999, Bertrand Piccard réalisait le vol le plus long – 19 jours 21 heures et 47 minutes – à bord d’un ballon propulsé à l’hélium (record jamais égalé), l’entreprise héraultaise Zephalto ouvre aujourd’hui la voie à un nouveau projet aérospatial révolutionnaire : voler jusqu’à la stratosphère, deuxième couche de l’atmosphère terrestre, située entre 12 km et 60 km d’altitude.


La bonne a(l)titude

C’est en 2012, en contemplant un coucher de soleil, que Vincent Farret d’Astiès, alors contrôleur aérien, a un déclic. « Je me suis demandé ce que ça ferait de larguer les amarres vers les nuages, de naviguer dans le ciel comme on navigue en mer. Pourquoi ce soir-là ? Je ne sais pas, mais à partir de cet élan, la technique a suivi. » Alors que les vols en montgolfière émettent du dioxyde de carbone et sont limités en durée comme en hauteur, le jeune homme imagine un nouveau type de navigation dans les airs : une croisière en très haute altitude, sans limite de temps, reposant uniquement sur l’énergie solaire. Le projet démarre en 2016 au Pouget, dans une ancienne exploitation viticole (photo). Deux ans plus tard, un vol inaugural est lancé, permettant de tester deux innovations majeures : le régulateur d’altitude et l’enveloppe réutilisable.
« Notre aérostat fonctionne avec deux ballons. Le premier, le ballon porteur, à l’enveloppe réutilisable, est à l’hélium, comme une montgolfière traditionnelle. Le second sert de réserve d’air comprimé, utilisant l’énergie solaire. Si on veut gagner de l’altitude, on ouvre une vanne pour décompresser de l’air ; pour redescendre, on active les compresseurs à énergie solaire. On peut alterner ces manœuvres à l’infini, sans limite de temps ni de trace sur l’environnement », résume le fondateur de Zephalto qui travaille en partenariat avec le Centre national des études spatiales (CNES), avec l’appui de l’Agence spatiale européenne.


Vols commerciaux d’ici 2024

Après les résultats concluants du vol d’essai – qui ont permis de valider la structure du ballon ainsi que son comportement au décollage et atterrissage –, Zephalto travaille sur le lancement d’un nouveau vol, dès cet automne. « L’idée est d’augmenter progressivement la durée et l’altitude des vols. Cette fois, nous visons les 8 000 m », projette l’ingénieur aéronautique qui poursuit son rêve stratosphérique dont l’aboutissement serait Céleste, ballon capable de voler à 25 km d’altitude. « Pour l’instant, notre prototype fait 70 m de haut et peut transporter jusqu’à 3 personnes. Avec Céleste, l’expérience sera celle d’une croisière au milieu des étoiles. La nacelle pressurisée permettra d’emmener 2 à 6 personnes contempler la courbure de la Terre, le Soleil et un panorama de plus de 1 000 km d’étendue. »
Mais ce voyage spatial, programmé dès 2024, a bien entendu un coût : plusieurs dizaines de milliers d’euros (il pourrait être question de 60 000 € le ticket). Pas de quoi pour autant refroidir les ardeurs. À peine ouvert, le site a déjà enregistré une cinquantaine de candidats, tous prêts à être les premiers passagers de l’espace.
Outre le tourisme spatial, cette innovation pourrait connaître d’autres applications. Elle suscite déjà l’intérêt des télécommunications, des missions scientifiques pour des prises de vues aériennes mais aussi des laboratoires qui se préparent au voyage vers Mars.
« Les essais de nos prototypes permettent de collecter des données scientifiques et de réaliser des analyses atmosphériques sur une durée jusqu’alors inconnue. Le fait de pouvoir voyager sans limite de temps est en soi une révolution qui intéresse les laboratoires. Des premières applications stratosphériques industrielles sont à prévoir à court et à moyen terme », confie le dirigeant de Zephalto qui, pour accélérer son développement, prépare une levée de fonds estimée à environ 6 M€.
Biberonné par les exploits des pionniers de l’aviation, Vincent Farret d’Astiès poursuit sa quête, la tête dans les étoiles mais les pieds bien ancrés dans la réalité.