La création de Christian Rizzo, directeur d’ICI-centre chorégraphique national de Montpellier, était accueillie par le Printemps des comédiens en ouverture de Montpellier Danse 2019. Réunir trois structures culturelles de cette importance autour d’une même pièce, Une maison, voilà un bel exploit. Une maison déjà très habitée, en quelque sorte, dont voici un « filage ».

On prend place. La musique de Cercueil / Puce Moment n’arrivera que plus tard. Pour l’instant, nous sommes face au silence, à un tas de terre rouge, un nuage électrique éteint et un homme en noir au visage pâle, inquiétant, masqué. Ses mouvements sont fantomatiques, mécaniques, s’agit-il d’une âme errante ou d’un pantin ? Ce jeu d’ombres et de lumières, de corps mouvants et d’objets stagnant révèle une forêt suspendue qui se reflète au sol par une inquiétante présence obscure.

Peu à peu, tous le rejoignent ; l’homme fait tomber le masque et quitte la scène. Au total, 14 danseurs viennent peupler l’espace. Tous vêtus de noir, ils s’échangent des regards, coordonnent leurs mouvements par duos, effet de mimétisme ; ils se tiennent la main, s’accompagnent, se portent et se détachent.
C’est la singularité dans l’ensemble, la solitude dans la communauté. Par des corps à corps, il s’agit d’habiter cet espace, de faire ensemble, de faire maison. La tension dans l’atmosphère est palpable, à l’instar de la tension lumineuse qui traverse l’espace onirique de ce plafond de verre, faisant circuler l’énergie dans la structure de néons qui forme le toit de cette maison.

On observe alors la formation d’un ensemble uniforme, sombre et sobre, à l’image de la pièce. C’est l’apparition de la clarté dans l’obscurité, c’est un jeu d’absence et de présence, c’est un outrenoir de Soulages, une œuvre picturale dansée emplie de spiritualité. Si l’espace est silence, le néant dans sa profondeur recèle toute la complexité de l’humanité, le vide et le plein à la fois, le lien et le détachement, le rejet de la présence de l’autre mais l’absolue nécessité de ce dernier pour survivre.

Les mouvements s’humanisent, les danseurs s’apprivoisent. On entrelace les corps ; on forme un tout, une arborescence humaine. Le bosquet de corps tremble, s’émeut, se meut en parfaite cohérence avec l’environnement sonore. Une petite farandole se forme, une chaîne humaine, d’humains déchaînés : sont-ils enchaînés les uns aux autres ? L’ensemble est-il essentiel à leur survie ou sont-ils libres dans cet unisson ?

Une lune en projecteur révèle un nouvel espace, une réalité parallèle, un homme commence à disperser la terre pour faire disparaître la scène et envahir ses Hommes.
Ambiance crépusculaire, les corps dansent sous ce nuage opaque, laissant leurs traces dans la poussière. Nous sommes plongés dans un paysage lunaire, ésotérique et intersidéral. L’onirisme de cette scène contraste avec l’ancrage de la terre dont l’odeur et la matière nous parviennent. Cet univers nous plonge dans l’intime et l’universel de ce récit, où la fiction émerge de l’abstraction.

Le ciel de néons rougeâtre se dégage, et peu à peu on délivre l’espace, le toit s’étend, se distord et s’ouvre pour faire place à l’espace intérieur de cette maison en construction. Les rôles s’échangent, la transmission s’opère sur cette planète tellurique qui semble repeuplée. On y apporte une plante, symbole de vie, alors qu’un foyer nébuleux se forme aux racines, à l’image de notre avenir.

Ce paysage post-apocalyptique est-il notre nouvelle maison ? L’espace y est vivant et cette ronde humaine, formée par des corps passés de la noirceur à la couleur, laisse présager que si nous ne sommes plus que poussière, il nous reste toujours l’ensemble. Des oiseaux, des animaux, et des monstres viennent peupler cette terre, mais ce ne sont là que des masques cachant le cœur des hommes. Et ce petit homme au chapeau pointu endormi se révèle être le fantôme, métaphore de la question du vide, de l’invisible et de l’absence, fantôme de Dominique Bagouet, ou d’un autre ? Il reste là dans l’espace, maintenant vidé de toute humanité, telle une présence distraite. Il nous fait face et nous le voyons, il est le fantôme de notre passé et dans une ambiance fourmillante, électrisante, le rideau se ferme. n

Théâtre Molière, Sète
Mar. 4 février, 20h30
Théâtre de la Cité, Toulouse
Jeu. 6 février (19h30) et ven. 7 février (20h30)