Désormais, intégrer une œuvre d’art dans un projet immobilier est presque une évidence pour un promoteur de Montpellier ou de Sète. Pour la construction d’un siège social ou l’aménagement de bureaux ou de logements. Près de l’hôtel de ville de Montpellier, une sculpture de Xavier Llongueras orne ainsi depuis cet été la résidence Art Code qui accueille le siège social de Cogim et d’Éocène. Des architectes et bâtisseurs de la région ont rejoint le réseau des Mécènes du Sud, créé à Marseille notamment pour « abolir la distance entre l’art et l’entreprise ». Il se déploie à Montpellier, rue de la Balance, avec l’ouverture d’une galerie en 2017. Le bureau Montpellier-Sète est présidé par l’architecte Antoine Garcia-Diaz et Gilbert Ganivenq, ancien patron de Proméo, en est le vice-président.

En investissant dans l’art contemporain, promoteurs et entreprises s’achètent certes une belle image. Et, cerise sur le gâteau, ils bénéficient d’avantages fiscaux : la détention d’œuvres d’art est exclue de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière depuis la loi de finances 2018 ; l’achat d’œuvres originales d’artistes vivants, sous réserve d’être exposées au public pendant la durée de l’amortissement, est déductible du résultat imposable de l’entreprise. Mais souvent, ce soutien aux artistes ne date pas d’hier et procède plutôt d’un intérêt plus profond. Mécènes du Sud existe en effet depuis 2003, et Gilbert Ganivenq a produit ses premières œuvres dès 1994, à l’occasion de l’exposition « variation autour du Déjeuner sur l’herbe », qu’il organisa. Un certain Di Rosa y contribua.
L’engagement de ces acteurs de l’immobilier s’exprime par ailleurs diversement. Certains le poussent plus loin en s’impliquant en faveur d’une démocratisation de l’art contemporain ; d’autres en finançant des œuvres qui resteront de façon pérenne sur le site, voire en créant une fondation ad hoc. artdeville a rencontré deux d’entre eux dont les démarches se distinguent.

Gilbert Ganivenq

Ancien patron de Proméo (promotion immobilière) et Vacalians (hôtellerie de plein air), fondateur de la société FDP Art et Patrimoine.

Vous créez une société dédiée à l’art contemporain. Quel est votre but ?
Je suis collectionneur et mécène d’art contemporain depuis longtemps. Après avoir passé la main de Proméo et Vacalians, j’ai décidé de consacrer 100 % de mon temps à ma passion. Mon but est de diffuser et vendre l’art contemporain afin de soutenir des artistes. J’ai créé une société dédiée, Art et Patrimoine (Sète), au sein de ma holding familiale La Financière du parc au capital de plus de 20 millions d’euros. Elle devrait réaliser un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros en 2019 avec les dix personnes qui travaillent avec moi sur deux grands projets.

En quoi consiste votre projet à Sète ?
Là où se trouvaient les établissements Boyé et le garage Seat, sur le quai de Bosc, nous allons ouvrir Le Réservoir durant la deuxième quinzaine de novembre 2018. Ce sera un lieu à l’ambiance industrielle, un lieu « brut », décontracté, ouvert à tous gratuitement. Dans cet espace de 2 000 m2, je veux casser les codes, élargir la clientèle de l’art contemporain pour qu’il ne soit pas réservé aux riches ou à ceux qui savent. Les jeunes pourront venir habituer leur œil, avoir des coups de cœur, acheter. Car vendre, c’est diffuser et soutenir les artistes. Cette ruche abritera des artistes connus et en devenir, en résidence. On y trouvera une partie de ma collection d’environ 2 500 œuvres d’art brut et contemporain, dont une grande partie à la vente, quelques voitures de collection, une librairie d’art avec Sauramps, un espace détente, un bar. La plupart des visites seront accompagnées pour que les gens découvrent le lieu, qu’on les informe sur les œuvres, les artistes et notre démarche.

Le second projet se situe à Montpellier. Sera-t-il différent ?
La Serre ouvrira en février/mars 2019 au sein de l’Arbre blanc que Proméo construit près du Lez. Nous avons choisi ce nom avec les architectes car on va y élever de jeunes pousses, des artistes qui voleront de leurs propres ailes plus tard. Ce sera un lieu avec un esprit plus dépouillé que Le Réservoir, un peu japonisant. Il sera plus petit aussi, avec 250 m2 au rez-de-chaussée consacrés au lieu d’exposition et à un espace librairie. Au 1er étage, 250 m2 seront dédiés aux bureaux de la société Art et Patrimoine et à un espace coworking ouvert à ceux qui veulent participer à cette démocratisation de l’art contemporain.

Vous souhaitez donc vendre des œuvres d’art ?
Nous allons embaucher des vendeurs ayant des compétences en art et un profil commercial. Ils feront de la « vente debout » rémunérée au pourcentage, se déplaceront dans les entreprises pour proposer aux professions libérales et chefs d’entreprise d’acheter des œuvres. Ils leur expliqueront les facilités pour investir dans l’art, le fonctionnement du crédit, la défiscalisation, la possibilité d’intégrer l’art dans l’aménagement de leurs bureaux, de mettre des œuvres sur les murs. Le crédit, c’est la clé de l’art pour tous. C’est aussi valable pour ceux qui viendront au Réservoir. Pour que les jeunes puissent s’acheter une œuvre aussi facilement qu’une Twingo !

Numa Hambursin

Directeur de la fondation Hélénis GGL pour l’art contemporain à Montpellier et directeur de La Malmaison et du Suquet des Art(iste)s à Cannes, ancien directeur artistique du Carré Sainte-Anne à Montpellier, Prix AICA France de la critique d’art 2018.

Quel est le but de la fondation Hélénis GGL pour l’art contemporain ?
Cette fondation va travailler avec des artistes majeurs pour qu’ils réalisent des œuvres exceptionnelles lors des projets d’Hélénis GGL. Elle leur commandera des œuvres in situ, pérennes. C’est très courageux de la part d’Hélénis GGL. Son président, Thierry Aznar, m’avait confié une première mission en tant que directeur artistique pour le Domaine de Lafeuillade à Montpellier. Nous nous sommes mis d’accord sur l’idée d’excellence. D’habitude, un promoteur veut quelque chose d’un peu aguicheur pour plaire aux clients. Moi, je veux que les œuvres soient des marqueurs de leur époque. Je vais chercher des gens importants de l’art contemporain, pas des amis du promoteur. Pour le Domaine de Lafeuillade à Montpellier, j’ai travaillé avec Alain Clément qui a sorti ses magnifiques sur-toits rouges, des sculptures monumentales à ciel ouvert. Même chose pour Sakura à Castelnau-le-Lez avec la fresque géante d’Abdelkader Benchamma : je l’ai fait sortir de sa zone de confort. C’est la première fois qu’il utilise la couleur. Lorsque s’est présenté le projet de l’Hôtel Richer de Belleval sur la place de la Canourgue à Montpellier, Hélénis a choisi de créer cette fondation, dont je suis le directeur artistique.
Il y a un vrai engagement d’Hélénis GGL, une volonté de s’inscrire dans l’histoire de la ville, pour les générations futures. Ce n’est pas juste repeindre, faire de la déco et de l’événementiel. Les œuvres de la fondation seront toutes du niveau du centre Pompidou.

Qu’allez-vous donc faire à l’Hôtel Richer de Belleval (place de la Canourgue à Montpellier NDLR) ?
Nous allons marquer la chair du bâtiment ! Dans ce lieu labyrinthique et compliqué, il faut faire attention à l’histoire, avec des œuvres qui restent, comme les peintures murales classées monuments historiques qui sont encore dans ses murs. La question est : comment faire un palais à notre époque ? En mettant dans ce lieu le plus beau de l’art contemporain, pour qu’il soit dans la continuité de ce qui a été fait dans le passé, qu’il devienne patrimoine. Venise ou Rome sont mes références. À Rome, en poussant une porte, on se retrouve face à une fresque faite il y a 300 ans. Il faut aussi qu’on ait le souffle coupé en pénétrant dans Richer de Belleval ! Je travaille avec des artistes sur des projets d’envergure. À l’entrée, sur le plafond tout en longueur, il y aura une grande céramique réalisée par Jim Dine, 83 ans, le dernier des grands artistes pop. Il travaille avec la manufacture de Sèvres pour faire une de ses plus grandes œuvres, sur le modèle de la Chapelle Matisse à Vence. Une pièce digne du MoMA(1). J’ai commandé des œuvres à une jeune artiste pour le grand escalier, à un artiste d’envergure internationale dans l’ancienne salle des mariages, à un artiste de la région dans l’une des salles voûtées. Ce sera un manifeste pour montrer que l’art contemporain peut être aussi bien, voire mieux que l’art ancien.

Ce lieu sera-t-il ouvert au public ?
L’ouverture est prévue à l’été 2019. Il sera ouvert au public, aux écoles montpelliéraines notamment, mais pas aux quatre vents. Il faut une démarche vers l’art pour lui donner de l’intérêt. Il faudra donc s’inscrire sur un site web et il y aura un guide pour expliquer les œuvres. Ce lieu doit être précieux, rare, que cela ne soit pas la cohue. Il est un peu ridicule de parler d’art accessible à tous. L’art l’est déjà ! Si une partie de la population s’est coupée de l’art contemporain, c’est parce qu’il doit se remettre en cause sur la qualité de ce qu’il présente. Si c’est pour mettre des chiens rouges avec des gros seins au milieu d’une pelouse, ce n’est pas la peine. Il faut des œuvres qui aient du sens.

(1) Museum of Modern Art à New York.

Marc Sechaud, PDG de COGIM, Philippe Saurel, maire et président de Montpellier Métropole, Tristan Séchaud (Cogim), Xavier Llongherra, artiste, lors de l’inauguration des sièges sociaux des société COGIM et Éocène, en juin 2018.