« Le musée est un des lieux qui donnent la plus haute idée de l’homme », disait Malraux. Mais peut-être plus encore de ses architectes et de sa ville. Dans la région, ces hauts lieux de culture affichent un dynamisme sans précédent. Tant du point de vue de leur fréquentation – plus de 3 millions de visiteurs par an – que des efforts déployés pour leur construction ou leur rénovation. « C’est un processus qui a commencé à la toute fin des années 90, confirme Danièle Devynck, conservatrice en chef du musée Toulouse-Lautrec d’Albi et membre du conseil d’administration du réseau Occitanie musées. La région compte parmi les dernières à se lancer dans des projets d’envergure. Lyon ou Nantes l’ont fait avant nous. En revanche, nous pouvons dire que c’est une décennie fructueuse », concède-t-elle.

Bâtiments de « starchitectes »
Si les centres d’intérêt qui animent nos musées sont multiples, les plus récents d’entre eux partagent un même goût pour les grands noms de l’architecture contemporaine. Des superstars de l’architecture au CV long comme le bras, capables d’un parti pris artistique franc et tranché. « C’est un tout. Aujourd’hui, on ne pourrait pas imaginer un beau musée dans un bâtiment moyen », constate la conservatrice.
De parti pris, Élisabeth de Portzamparc n’en a pas manqué pour réaliser le musée de la Romanité, à Nîmes. Livrée en juin 2018, cette façade semble onduler au gré du vent à l’instar d’un drapé intemporel… Un choix élégant face aux antiques arènes, chiffré à 60 millions d’euros.
Même grandiloquence pour Narbo Via, l’autre romaine, qui devrait accueillir ses premiers visiteurs en 2020. Ici, le Britannique Norman Foster, « starchitecte » de premier ordre, orchestre l’un des plus gros chantiers culturels français du moment : 15 000 pièces, 8 000 m2, 50 millions d’euros ! La présidente de la Région Occitanie, principal financeur du projet, lui confère déjà « un rôle central pour le rayonnement du territoire ». Il faut dire que la recette a fait ses preuves. Pour mémoire, jamais Rodez n’avait vu autant de journalistes et de projecteurs que lors de l’inauguration du musée Soulages en 2014. La bâtisse a été conçue pour abriter les célèbres Outrenoirs de l’artiste éponyme, mais ce jour-là, tout le monde n’avait d’yeux que pour ces volumes métalliques dessinés par les Catalans d’RCR Arquitectes. Des talents couronnés peu après, en 2017, par le prestigieux Pritzker.
En 2015, pour l’ouverture du Mémorial de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), point de chic ni de clinquant. Pas question, pour le célèbre Rudy Ricciotti, d’éviter « cette violence cachée ». Le Mémorial s’efface donc face à l’horreur, semi-enterré jusqu’aux pieds de ces baraquements où l’on a parqué successivement exilés du franquisme, juifs, puis harkis… Comme pour ne pas faire ombrage à l’indicible. À l’inexcusable. Et jeter ce pavé de 230 mètres de long dans la mare de l’oubli.

Rénovations en cascade
Mais tout comme l’accumulation des millions, la notoriété du constructeur n’est pas une fin en soi. Ces dernières années, des rénovations de qualité ont également émaillé le territoire régional, avec un certain succès. Dans l’Hérault, depuis le printemps 2018, le musée Fleury de Lodève accueil le public dans une rénovation flambant neuve. Un projet minéral et clair porté par l’agence Projectile. En 2015, c’est la Maison des Consuls des Matelles qui s’octroyait quelques lettres de noblesse avec ce musée quasi refait à neuf, mais non moins inscrit dans l’histoire, célébrant la pierre à chaque espace. Dans le Tarn, c’est après douze ans de travaux que le musée Toulouse-Lautrec d’Albi rouvrait ses portes ! Un chantier monumental livré en 2012, destiné à doubler sa surface. Même entrain pour La Cuisine, dans le Tarn-et-Garonne, où les experts d’RCR Arquitectes avaient pour mission de réinterpréter un château du XIIIe façon centre d’art et de design. Dans le Gard, il s’agissait enfin de transformer une ancienne filature en Musée des vallées cévenoles. Un projet porté à bout de bras par l’agglomération alésienne depuis 2002 ! Lors de son discours inaugural, quinze ans plus tard, le président de la collectivité Max Roustan ne boudait pas son plaisir : « Un territoire sans culture est un territoire sans âme ! », lâchait-il fièrement.
L’enthousiasme n’est pas feint, les élus se sont clairement « emparés du sujet ». « Il y a une prise de conscience », assure Laurent Roturier, responsable de la Drac Occitanie (Direction régionale des affaires culturelles). Et si les communes et les agglomérations sont les premières sur le pont, la Région et les Départements apportent quasi systématiquement leur pierre à l’édifice du budget. « Je n’avais pas réalisé à quel point nous avions travaillé sur le sujet, lâche Dominique Salomon, vice-présidente de la région Occitanie en charge de la Culture. Nous avons soutenu dix projets de restructuration et trois créations ces quatre dernières années… Il y a une vraie volonté politique, dans chaque collectivité, pour le développement des musées. Il faut dire que c’est un atout indéniable pour fixer à la fois la connaissance… et le visiteur ! » L’enjeu est clair. Le musée apporte prestige et culture, mais il participe aussi à l’attractivité et à l’économie du territoire.

S’extirper d’une politique culturelle de grand-papa
Au total, la Drac dénombre 132 structures labellisées « musées de France » ! Une toute petite particule, mais qui ouvre la voie à un soutien financier de poids pour les restaurations à venir. L’occasion de « monter une marche » et « d’accéder à un rayonnement plus important », analyse encore le directeur régional de la culture.
Il faut dire que la partie n’était pas gagnée d’avance. Comme le souligne le politologue Emmanuel Négrier, « les musées sont moins créés sur la stricte fonction de patrimonialisation artistique que sur des aspects économiques, touristiques, éducatifs… Il faut se souvenir qu’en dehors du cinéma, c’est la sortie culturelle préférée des Français ! Et en même temps, les musées évoquent l’image un peu ringarde d’une politique culturelle de grand-papa dont les élus essaient de s’extirper », ajoute le chercheur. Dans les esprits, le mot « musée » traîne encore derrière lui un petit halo de désuétude. Il faut aussi avouer que ce temps fort des dimanches en famille supportait mal la comparaison avec certaines structures internationales, type Mucem ou Centre Pompidou, largement précurseurs en termes de confort et de modernité. Une analyse partagée par Danièle Devynck à Albi : « Les visiteurs voyagent ! Ils ont vu de belles choses. Ils ont désormais besoin de cafétéria, d’auditorium, de vestiaire… Tous ces gros chantiers correspondent à des mises aux normes nécessaires, et à une professionnalisation du fonctionnement des musées. »
Derniers projets à prendre le train en marche, le musée d’art moderne de Céret (Pyrénées-Orientales), le musée Ingres de Montauban (Tarn-et-Garonne), celui du Gévaudan à Mende, ou Henri-Martin à Cahors (Lot) dévoileront leurs dernières retouches d’ici 2022. Avant eux, les visiteurs pourront aussi arpenter l’atypique Moco, temple de l’art contemporain à Montpellier, qui devrait ouvrir dès cet été. Circulez, il y a beaucoup à voir !

En chiffres

132, c’est le nombre de structures labellisées Musée de France que compte la région Occitanie, contre 1 200 dans tout le pays. En quantité, elle arrive juste derrière l’Île-de-France,142, et la région Auvergne Rhône-Alpes, 140.

3,3 millions, c’est le nombre de visiteurs annuels des musées de la région. L’Occitanie arrive au pied du podium juste après l’île-de-France, 33,1 millions, l’Auvergne Rhône-Alpes, 4 millions, et la région Paca, 3,9 millions. (chiffres 2016)