Si l’urgence écologique et climatique est depuis le 11 septembre 2019 inscrite dans le Code de l’énergie français, reste désormais à l’appliquer ! La loi Climat et énergie fixe l’objectif d’atteindre la « neutralité carbone » à l’horizon 2050 et de diminuer de 40 % la consommation d’énergie fossile d’ici à 2030. Elle impose aux collectivités territoriales d’inscrire ces impératifs dans le quotidien des populations, en lien avec la loi sur les mobilités, dite LOM, adoptée le 17 septembre. Et de le faire en résolvant une équation à plusieurs variables : croissance économique et démographique, fracture territoriale et sociale, préservation de l’environnement et de la santé. Le casse-tête est réel, particulièrement en Occitanie. La région est la 5e plus peuplée de l’Hexagone. Son attractivité, loin d’être démentie, croît chaque année : elle comptera un million d’habitants de plus en 2040. Les métropoles de Toulouse et Montpellier tirent cette croissance avec 15 000 arrivants par an pour la première, entre 4 700 et 5 300 pour la seconde. Mais sur les routes et autour des bassins d’emploi, les bouchons enflent et l’air devient de plus en plus irrespirable. Les transports sont les principaux appelés au banc des accusés du bilan occitan : ils contribuent largement aux émissions de dioxyde d’azote (70 %) et de particules fines (25 %), malgré des réductions observées depuis 2010 (Source : ATMO Occitanie, 2018).
« La pollution de l’air, dans toutes ses dimensions, induit clairement des problématiques de santé publique sur l’ensemble du territoire régional, confirme Thierry Suaud, le président d’ATMO Occitanie. Les conséquences des expositions liées à la circulation et au trafic autour des villes et des métropoles, telles que Toulouse ou Montpellier, pointent bien le sujet de la mobilité. Elles pointent aussi l’enjeu d’une réflexion tournée vers des alternatives au tout routier et au tout véhicule particulier. »

Vers une agence de la mobilité ?
« Les métropoles sont interrogées, moins sur leur capacité à juguler l’augmentation de la circulation routière et la progression des immatriculations de véhicules particuliers que sur leur pouvoir de réflexion et d’action en matière de déplacements et d’alternatives, résume Thierry Suaud. Les lignes bougent cependant et les moyens sont au rendez-vous, car les élus ont compris qu’ils ne pouvaient plus penser leur territoire, leur ville sans leurs voisins. » Les temps politique, juridique, la concertation semblent en tout cas bien longs pour répondre à l’urgence climatique. Pris dans leurs contradictions, ils plaident en faveur d’une autorité régulatrice, dégagée des contingences budgétaires et électorales, au risque sinon d’installer durablement l’incohérence et l’inefficacité. Dans une lettre à la ministre Élisabeth Borne, en septembre 2018, c’est la proposition que défendait la présidente de Région Carole Delga. Elle proposait que la création d’une « agence des mobilités » en Occitanie soit intégrée à la loi LOM, pour une meilleure coordination opérationnelle de l’ensemble des acteurs des mobilités, par-delà les limites territoriales. « Une excellente idée, si elle intègre l’enjeu de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme », selon Marc Letourneur, ancien directeur des transports de l’agglomération montpelliéraine.

À Montpellier, la gratuité des transports entre en campagne

Après Paris, Montpellier s’est déclarée dans l’été en « état d’urgence climatique », créant dans la foulée un Fonds d’urgence climatique et une feuille de route intitulée « Manifeste de Montpellier pour une ville écologique et humaniste ». Mais si son centre-ville est l’une des plus importantes zones piétonnes de France (103 hectares, bientôt classé « zone à faibles émissions »), des aménagements récents, comme le doublement de l’autoroute A9, ou prévus, comme le contournement ouest et la déviation est de Montpellier, ou encore différés, comme les travaux de la ligne 5 de tramway, montrent comme le chemin à parcourir reste long.
Au printemps 2019, lors de la pose de la première pierre d’un bâtiment de la cité créative, Philippe Saurel rassurait. Interrogé par artdeville sur la pertinence d’y créer 260 places de parking alors que les rues d’accès sont déjà saturées, il confessa : « J’ai fait ma « vélorution ». » Une déclaration qui réjouira Greenpeace : dans son dernier panorama « Mobilité durable 2018 », l’association écologiste épinglait la Ville pour le retard pris dans sa politique en faveur du vélo. 10 M€ ont toutefois été injectés aux financements cyclables de la Métropole en 2019, s’ajoutant aux 3,8 M€ déjà engagés sur le budget de cette année. Un Schéma directeur des mobilités actives, voté fin 2018, a aussi été doté de 80 M€. Côté transports en commun, alors que l’implantation à une demi-heure du centre-ville de la nouvelle gare TGV focalise encore toutes les critiques (lire plus loin), de nouvelles lignes de bus ont été créées en septembre dernier, avec notamment « de nouveaux quartiers desservis, une amplitude horaire étendue jusqu’à 22h et une fréquence améliorée sur de nombreuses lignes ».

 

L’opposant à l’actuel maire, Michael Delafosse, fait lui une entrée tonitruante dans la campagne des élections municipales avec un projet de « gratuité des bus et tramways pour tous les habitants de Montpellier Méditerranée Métropole ». Montant de l’opération selon lui : 24 M€ au lieu des 39 M€ de recettes de billetterie et d’abonnements de la TAM en 2018, « sans augmentation du taux d’imposition des ménages », promet le chef de file socialiste qui, en cas de victoire, prévoit de faire des économies de fonctionnement, notamment sur le train de vie de la collectivité (15 M€).

Cette gratuité laisse les Verts dubitatifs. Leur projet se veut plus pragmatique et fixe plutôt l’objectif de rendre gratuits les transports en commun le week-end : « En semaine, ils sont déjà saturés ! Mieux vaut consacrer cet argent à développer franchement l’offre, avec un tarif social », défend Manu Reynaud, citant l’exemple de Grenoble.
Enfin, pour le président de la Chambre de commerce et d’industrie, André Deljarry, qui compte peser sur les échéances municipales, l’agrandissement de l’aéroport, le développement des croisières maritimes, la création d’une cité de l’automobile et le bouclage du périphérique de Montpellier sont les principales mesures à prendre pour défendre l’économie locale. Des propositions a priori incompatibles avec l’urgence climatique mais qu’il juge réalistes grâce au progrès des mobilités électriques et à hydrogène, regrettant par ailleurs que « les acteurs locaux ne travaillent pas ensemble de manière transversale et collaborative ». Un dernier constat partagé par le candidat Mohed Altrad, qui ne s’est pas encore exprimé plus précisément sur le dossier des mobilités.

 

Toulouse : le métro prioritaire, Airbus et Hyperloop à l’affût

A Toulouse, d’autres propositions alimentent les débats. Le Plan de déplacements urbains (PDU), dont toute agglomération de plus de 100 000 habitants doit disposer, est sur la sellette. Baptisé « Projet Mobilités 2020-2025-2030 », il doit organiser et coordonner localement les stratégies à définir sur un territoire de 114 communes. L’enjeu est grand : « La métropole toulousaine doit inventer d’ici à dix ans quelque 500 000 déplacements encore inexistants, précise Jean-Michel Lattes, vice-président de Toulouse Métropole en charge des mobilités ; et apporter des réponses qui sont autant environnementales, économiques que techniques, tandis que le département recense 1 000 immatriculations de véhicules nouvelles par mois. » Le coût (plus de 3,8 milliards d’euros) ira principalement à la création d’une troisième ligne de métro, qui représente à elle seule 55 % du montant total. Cœur de cible du document : les déplacements domicile-travail. « Nous voulons pallier les lacunes des lignes A et B et créer une nouvelle transversalité est-ouest, interconnectée avec d’autres modes de transport ; actifs, en commun ou de surface en centre-ville et depuis les périphéries », précise l’élu.

Tandis que la déclaration d’utilité publique (DUP) se fait attendre, le projet toulousain reçoit le feu des critiques. Des ajustements, des oppositions et des retoquages qui courent depuis la précédente mandature. Au titre des reproches ? Une stratégie trop centrée sur la ville, et fondée principalement sur la création d’une troisième ligne de métro, au détriment des cyclistes et des piétons. Les enquêtes publiques, en 2012 puis 2017, mais aussi la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) Occitanie en 2017, les associations d’usagers de transports interrogent la capacité réelle du projet à inverser la dégradation de la qualité de l’air et à favoriser le report modal. Une association toulousaine est allée jusqu’au dépôt d’un recours contentieux contre le PDU de la métropole toulousaine devant le tribunal administratif. L’issue de la procédure reste inconnue, mais « Deux Pieds Deux Roues » ne lâche pas : « Notre problème n’est pas le métro, mais son coût que nous jugeons exorbitant et la stratégie choisie, qui impacte l’efficacité à terme du changement modal et de la lutte contre la pollution », explique son président Guillaume Crouau. Le déploiement et le développement des transports de surface (tramway et bus), du réseau TER avec des trains cadencés et des schémas directeurs cyclables comme piétons ont la préférence de l’association ; « à condition qu’ils soient dotés d’un budget clair, assorti d’infrastructures de qualité sur un périmètre suffisamment étendu pour motiver les particuliers ». Tisséo Collectivités, l’autorité organisatrice des mobilités de l’agglomération toulousaine, et Toulouse Métropole répondent en pointant ce paradoxe : « Le PDU est une projection, justifie Jean-Michel Lattes, et si rien n’est fait aujourd’hui, la situation continuera à se dégrader. Il est un premier coup de pioche porté en faveur de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique. »

Le débat toulousain sur l’avenir de la mobilité est loin d’être clos donc, même si les enjeux semblent partagés par tous. Une unanimité qui permet le développement de projets innovants dans la Ville rose. Certains, tels que COMMUTE par exemple, sont d’ores et déjà en phase d’expérimentation active dans le secteur du nord-ouest. Objectif ? S’attaquer à la congestion de la zone aéroportuaire et aéronautique, premier bassin d’emplois de l’agglomération. D’autres font parler d’eux par le caractère futuriste des innovations qu’ils portent. Vahana et CityAirbus, deux « Adav » (Aéronef à décollage et atterrissage verticaux) 100 % électriques et autonomes, tout d’abord. Développés par le groupe Airbus, ces drones-taxis sont destinés aux transports interurbains dans les grandes agglomérations saturées par l’automobile. Après avoir passé l’épreuve des essais en vol, ils seraient très vite commercialisables. L’Hyperloop, quant à lui, propose une version futuriste du train. Porté par le milliardaire américain Elon Musk, le projet prévu pour atteindre une vitesse de 1 200 km/h est en cours de développement sur le site de l’ancienne base aérienne de Francazal.

Réseau ferroviaire : un plan fantomatique

La Région, confrontée au désengagement de l’État et de la SNCF, met en place un plan d’urgence pour la sauvegarde du réseau ferroviaire en Occitanie. Mais le budget sera hors les rails à l’horizon 2022-2029.

« Il faudra trouver 1,4 milliard d’euros pour assurer le maintien des infrastructures ferroviaires régionales ! ». C’est sur ces perspectives « inatteignables » que Jean-Luc Gibelin, vice-président à la Région Occitanie en charge des infrastructures de transport et mobilité, épingle le dossier épineux du réseau ferroviaire occitan. « Les lignes et le matériel roulant sont vieillissants » et l’absence d’investissements pourrait entraîner, selon l’élu, « des ralentissements sur la moitié des lignes utilisées par les trains régionaux, remettant en question les temps de transport, voire une suppression pure et simple des circulations d’ici trois ans ». La Région, confrontée au désengagement de l’État et de la SNCF, s’est dotée le 19 juillet d’un plan d’urgence à 66 M€ pour financer les travaux nécessaires au maintien des dessertes du territoire. « Ma volonté est de maintenir et développer le nombre de gares desservies, notamment en milieu rural pour que le plus grand nombre puisse trouver une solution de transports en commun à ses déplacements », s’est exprimé à cette occasion la présidente Carole Delga. Ce plan d’urgence concerne 12 lignes ou sections de lignes vitales pour les territoires d’Occitanie et 18 000 usagers qui les utilisent quotidiennement, soit 25 % des voyageurs des lignes TER.

Gares fantômes : une ardoise de 230 M€
Mais reste l’échéance de 2022-2029. L’ardoise, colossale, jette le discrédit sur les investissements consentis pour les nouvelles gares LGV Montpellier Sud de France (135 M€) et Nîmes-Pont-du-Gard (95 M€). La première, désignée « gare fantôme » après le fiasco ayant suivi sa mise en service, en juillet 2018, essuie un feu de critiques : avec seulement 4 TGV en circulation et deux Intercités, son absence de raccordement au réseau TER en fait « un vrai aspirateur à voitures » pour relier la ville, distante de 6 km, taclent notamment les Verts, opposants historiques à son implantation ici. La seconde, la future gare Nîmes-Mandelieu, ouvrira ses portes les 15 décembre pour accueillir 24 TGV et 44 TER en correspondance de ces trains. Avec des coûts supplémentaires pour redimensionner l’ensemble du réseau en incluant les temps d’arrêt supplémentaires, supportés par la Région. « En quatre ans, l’État a investi 230 M€ pour deux gares LGV qui ne servent à rien, dénonce Jean-Luc Gibelin. Le contournement à grande vitesse est une bonne chose, mais les 44 TGV des gares historiques suffisaient, si l’on pensait un raccordement à moindre coût. Les usagers ont besoin aujourd’hui d’intermodalité : c’est le réseau ferroviaire qui doit permettre un maillage du territoire sur lequel viennent se greffer ensuite les différentes solutions de modalité. »

Région à énergie positive
C’est l’ambition de Carole Delga qui veut positionner l’Occitanie comme première région à énergie positive d’Europe. Avec un plan « hydrogène » de 150 M€ inédit en France et le lancement d’un train à hydrogène dès 2022, dans les Pyrénées centrales. Pour ce dernier projet, l’Occitanie a signé cet été, avec le groupe Alstom, un protocole de commande de trois rames « Régiolis à hydrogène » représentant un investissement de 33 M€.

 

Téléphérique urbain : et si on prenait de la hauteur ?

Ce mode de transport aérien qui n’emprunte pas l’espace public a le vent en poupe. Dans les câbles à Toulouse, à Béziers, il est téléporté… à d’autres mandats politiques.
Le transport urbain par câble suscite l’engouement des métropoles françaises. Certaines le ressuscitent même, comme Toulouse qui l’inscrit à son plan de déplacement urbain (PDU) en l’intégrant au réseau de transport en commun Tisséo. Téléo devrait être mis en service d’ici à la fin de l’année 2020. Objectif pour le plus grand téléphérique de France ? Satisfaire le besoin de déplacements journaliers de 8 000 voyageurs entre l’université Paul-Sabatier et l’Oncopole, via le CHU de Rangueil. L’enveloppe (82,41 millions d’euros HT, dont 11,8 millions de subventions potentielles) est à la hauteur de l’enjeu : grignoter la part de la voiture dans les déplacements sur l’arc sud de la ville. L’offre d’un réseau de transports connectés était jusqu’alors lacunaire sur ce secteur.
À Béziers en revanche, le projet de téléporté est enlisé : soutenu depuis 2014 par plusieurs candidats, il devait relier la ville, sa gare, le Canal du Midi et les neuf écluses de Fonséranes. « Avec 450 000 visiteurs annuels sur le site touristique de Fonséranes, seuls 3 % d’entre eux vont en ville. Le télécabine, une mobilité de nouvelle génération, moins polluante et attractive, aurait dynamisé l’activité économique du centre-ville, en souffrance », soutient Frédéric Lacas. L’opposition du maire de Robert Ménard a eu raison de l’étude de faisabilité économique demandée par le président de l’Agglomération Béziers Méditerranée. « Quand l’opposition est systématique, il faut laisser passer les trains », se résigne ce dernier. À l’approche des municipales, les opposants politiques sont sur les rails pour offrir un second souffle à ce projet.

 

Avis d’experte : Christine Sanchez
vice-présidente déléguée au Conseil économique, social et environnemental (Ceser) Occitanie*

En 2018 et 2019, le Ceser a rendu deux avis sur les mobilités. En quoi cette question est-elle si importante en Occitanie ?
Parce que la situation régionale est préoccupante. L’Occitanie est conjointement la 5e région la plus peuplée et la 2e la plus pauvre de France selon l’Insee. Des tensions, extrêmement fortes, s’expriment sur l’habitat, les services et la mobilité ; d’autant que 58 % de la population vit dans des villes de 200 à 10 000 habitants. Alors que la pression foncière et immobilière exclut des centres, à Toulouse et Montpellier, une part non négligeable de la population, elle contribue à jeter de plus en plus de véhicules sur les routes. Cette fracture, sociale et territoriale, concourt à accentuer l’urgence des enjeux de biodiversité et de développement durable.

Quelles sont vos préconisations ?
Une première vise l’amélioration des infrastructures routières, ferroviaires et aéroportuaires, dans le plus parfait respect du Schéma régional de cohérence écologique et du Schéma régional climat-air-énergie, et à la hauteur des ambitions de notre région et de son potentiel de développement. La seconde défend le développement de l’intermodalité avec la création d’une centrale de la mobilité. Relever le défi de la logistique apparaît aussi comme une priorité, tandis que la gouvernance régionale pourra être améliorée grâce à la création d’un syndicat mixte tel que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) le prévoit.

En quoi vos avis sont-ils solides ?
Les membres du Ceser, qui représentent les « forces vives » du territoire, ont conduit des auditions. Nous avons pu considérer tous les aspects de la réflexion et émettre des préconisations fortes qui tiennent la route, au-delà de tout affrontement politique. Si nous revendiquons notre utilité, sur cette question fondamentale de la mobilité notamment, c’est parce que nous notons à ce jour une réelle incohérence entre les enjeux qui sont posés d’une part, les stratégies et les choix qui sont portés par les différents acteurs du dossier d’autre part.
* présidente de la Commission « Aménagement du territoire – Politiques environnementales et énergétiques – Transport – Infrastructures – Numérique – Logement »