Trois cent cinquante. C’est le nombre de vitrines allumées recensées par France Nature Environnement Languedoc-Roussillon (FNE LR) à Montpellier, le 29 février, à 3 heures du matin. « Selon la loi, ces lumières auraient dû être éteintes à partir de 1 heure », indique Lydie Nemausat, animatrice fédérale de l’association. Mais pour FNE LR, pas question de stigmatiser des professionnels déjà éprouvés par la crise sanitaire. « Nous sommes allés voir les commerces durant l’été pour les sensibiliser. Certains ne connaissaient pas la réglementation ou pensaient que leurs magasins étaient éteints. Mais d’autres laissent volontairement allumés pour des raisons de sécurité ou pour ”mieux vendre” », poursuit Lydie Nemausat.


Lampadaires « intelligents »

Pourtant, additionnées à l’éclairage public et à celui des activités industrielles, ces lumières ont un fort impact sur la biodiversité. « Cela perturbe beaucoup la faune. D’abord les insectes. Un seul lampadaire peut en tuer cent cinquante en une nuit. Mais également les animaux qui se nourrissent la nuit comme les hérissons, les rapaces nocturnes ou les chauves-souris. Certains oiseaux migrateurs se repèrent grâce au ciel étoilé. Or celui-ci n’est plus visible à de nombreux endroits », détaille l’astronome Sébastien Vauclair. Celui qui est aussi le fondateur de DarkSkyLab, bureau d’études toulousain qui accompagne collectivités et entreprises désireuses d’améliorer leur qualité d’éclairage, a néanmoins vu le sujet de la pollution lumineuse être pris en compte « de manière exponentielle ces dix dernières années, notamment par des acteurs publics ». Un décret de 2018 encadre par ailleurs plus strictement l’éclairage extérieur : les lampadaires doivent désormais être essentiellement orientés vers le bas afin de limiter le phénomène de « halo lumineux » au-dessus des agglomérations et diffuser des couleurs chaudes moins nocives pour le vivant (les LEDs produisant de la lumière bleue sont maintenant prohibées, car elles attirent davantage les insectes, animaux qui se trouvent en bout de chaîne alimentaire).

Des éléments réglementaires intégrés par les principaux constructeurs de lampadaires. « Nous avons depuis longtemps sorti de nos catalogues les luminaires en forme de boules qui éclairent autant le sol que le ciel », témoigne Agnès Jullian, P.-D.G. de Technilum, entreprise de Béziers spécialisée dans la fabrication de mobilier urbain d’éclairage et présidente de la commission « Éclairage extérieur » du Syndicat de l’éclairage. Cette PME fondée en 1971 exporte 30 % de sa production à l’étranger. Elle propose des dispositifs à « haut niveau de service », tels que « des luminaires pilotés avec des caméras ou des capteurs permettant d’adapter leur intensité en fonction des usages de l’espace public ». La société est particulièrement fière du projet qu’elle développe avec Eiffage dans la commune de Montady (Hérault). Le niveau d’éclairement de la route nationale qui traverse le bourg augmente lorsqu’un véhicule circule pour ensuite s’atténuer après son passage. Dans le but de réaliser des économies d’énergie, la lumière est réfléchie par la chaussée qui contient des débris de verre. Mais, pour Agnès Jullian, pas question évidemment d’éteindre totalement. « Nous préconisons de conserver au moins 20 à 25 % de l’intensité lumineuse pour éviter l’effet stroboscope. Mais aussi parce que l’éclairage public est là pour assurer la sécurité des personnes. »

 

Protéger l’obscurité
Un point de vue que conteste l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne (ANPCEN). Celle-ci indique qu’elle « reçoit un très grand nombre de témoignages d’élus attestant que les délits n’ont en rien augmenté, en relation avec une extinction en milieu de nuit, partielle ou totale dans la commune. » L’ANPCEN organise chaque année le concours « Villes et villages étoilés » qui distingue les municipalités engagées dans des actions de préservation de l’environnement nocturne. La plupart des collectivités labellisées par l’association mettent en place des actions de sensibilisation ponctuelles (balade nocturne, observation des étoiles…). Mais surtout éteignent leurs lampadaires, le plus souvent de 23h à 6h du matin. Et si la motivation est environnementale, elle est aussi pécuniaire. « Une ville de 12 000 habitants peut faire jusqu’à 80 000 euros d’économie par an en éteignant six heures par nuit », indique Michel Deromme, membre du conseil d’administration de l’ANPCEN. Les parcs naturels régionaux et nationaux peuvent également être moteurs dans la lutte contre la pollution nocturne. Ainsi, dans le Lot, trente-cinq des communes adhérentes du PNR des Causses du Quercy sont ou ont été lauréates de « Villes et villages étoilés ». Ce qui a permis à une partie du territoire d’atteindre une grande qualité de nuit distinguée par le surnom de « triangle noir du Quercy ». L’Occitanie possède deux autres sites d’excellence en matière de ciel étoilé : les « Réserves internationales de ciel étoilé » du Pic du Midi de Bigorre (depuis 2013) et du Parc national des Cévennes (depuis 2018). Ce label honorifique décerné par l’International Dark-Sky Association (IDA) n’est détenu que par quinze sites dans le monde.

« Ces réserves sont avant tout des projets de territoires mobilisant les communes, le personnel des parcs, les professionnels du tourisme ou encore les syndicats départementaux d’énergie chargés de la distribution locale de l’électricité », commente Sébastien Vauclair. L’astronome est l’un des initiateurs de la réserve du Pic du Midi. Il a également œuvré à la création de celles du PN des Cévennes avec DarkSkyLab. « L’objectif est de réduire à long terme la pollution lumineuse dans ces zones. Réduction que nous devons prouver par des mesures physiques. C’est un engagement fort qui passe par le changement des lampadaires, la baisse de leur puissance, la modification de leur orientation, de la couleur des lumières, et éventuellement des extinctions. Concernant la réserve des Hautes-Pyrénées, cela a représenté un investissement de dix millions d’euros », continue-t-il.

« Trame noire »
Certaines communes des grandes agglomérations appuient sur l’interrupteur (c’est par exemple le cas de Prades-le-Lez, Castries, Montpeyroux ou Mauguio près de Montpellier). Mais cela est loin d’être suffisant pour enrayer les phénomènes de « halos lumineux urbains » qui peuvent avoir des impacts sur la vie nocturne sur des dizaines de kilomètres. Des lumières qui entravent la circulation de certains animaux. Sébastien Ranc, animateur en écologie urbaine au sein de l’Apieu (Atelier permanent d’Initiation à l’environnement urbain Montpellier Mèze), association très active sur le sujet, propose de « mailler les territoires de corridors noirs permettant aux espèces nocturnes de se déplacer pour s’alimenter ou pour se reproduire ». Un principe inspiré des « trames vertes et bleues » déployées depuis le début des années 2010 par les régions pour faciliter la mobilité de la biodiversité. La Région Occitanie, en lien avec la Dreal (Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) et l’ARB (Agence régionale de la biodiversité), vient justement de lancer en septembre dernier une étude sur la création éventuelle d’une « trame noire » à l’échelle régionale, une notion dont se sont déjà emparées plusieurs métropoles (Lille, Nantes ou Nice). Une cartographie régionale de la pollution lumineuse doit être réalisée en janvier 2021. Celle-ci s’appuiera sur des données et des images satellites réunies par le bureau d’études DarkSkyLab et La TeleScop, start-up coopérative montpelliéraine spécialisée dans la télédétection. Ce travail permettrait d’identifier les zones les plus problématiques. « La cartographie vise notamment à montrer l’impact de cette pollution avant et après l’extinction de l’éclairage », détaille Sébastien Guibert, chargé de mission Biodiversité et Aménagement pour la Région Occitanie. « Un guide méthodologique expliquera aux élus et à leurs équipes ce que sont la trame noire, la pollution lumineuse et comment la prendre en compte », complète-t-il. Car si de plus en plus de municipalités font preuve de bonne volonté, leurs actions « ne correspondent pas forcément aux attentes de la biodiversité. Par exemple, beaucoup éteignent l’éclairage public à partir de 23h. Or les animaux sont surtout très actifs en début de nuit », dit Sébastien Guibert. Une fois l’étude livrée, le Conseil régional laisse la porte ouverte à toutes les éventualités en pariant sur le fait que d’autres collectivités et acteurs du territoire s’emparent du sujet. Dans le but de créer un jour un ensemble de précieuses routes obscures dédiées à la biodiversité.

Ambassadeurs de la nuit

FNE Languedoc-Roussillon, le CPIEU APIEU Territoires de Montpellier et WWF Montpellier lancent un appel à devenir des ambassadeurs de la nuit. « Depuis 2013, un arrêté impose l’extinction des vitrines et enseignes après 1h du matin. Mais cette réglementation n’est pas respectée et la pollution lumineuse qui en résulte provoque la perte du ciel nocturne, perturbe la faune (dont l’homme) et la flore tout en gaspillant de l’énergie. » Les organisateurs proposent de participer à une nuit de repérage des éclairages illégaux : RDV à 1h, dans la nuit du vendredi 23/10 au samedi 24/10
Inscription avant le 21/10 : lgrcivi.fne-apne.net

Supprimer les feux tricolores

Nantes, Bordeaux ou encore Niort… De nombreuses communes se sont engagées dans un processus de retrait progressif de feux tricolores de leur centre-ville. Abbeville (Somme, 23 000 habitants) les a même totalement supprimés. La raison principale qui sous-tend ce mouvement n’est pas la lutte contre la pollution lumineuse, mais plutôt une volonté de faire baisser le nombre d’accidents tout en fluidifiant le trafic. Rouges grillés, accélérations à l’orange, refus de priorité… « 14 % des accidents en France surviennent en carrefour à feux », précise le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). La disparition des feux d’ailleurs souvent plébiscitée par les cyclistes, usagers vulnérables de la voirie.


Qu’en est-il en Occitanie ? Jusqu’à aujourd’hui, les métropoles toulousaine et montpelliéraine n’ont pas été très volontaristes sur le sujet. En 2017, la municipalité toulousaine annonçait pouvoir seulement en remplacer une trentaine par des ronds points. Alors qu’à la même période, la métropole bordelaise décidait d’en supprimer plusieurs centaines. À Montpellier, l’association Vélocité plaide pour la « réduction des feux rouges pour la priorité à droite », mais ne semble pas encore entendue. Depuis 2020, les cyclistes sont néanmoins autorisés à passer au rouge dans le quartier de Port Marianne.