En ce temps de « guerre », les initiatives solidaires et sociales qui fleurissent un peu partout sur le territoire sont une bouffée d’air pur. A Florac, la plus ancienne manufacture de jeans de France réduit drastiquement son activité mais se mobilise. Dans un tweet, Julien Tuffery, l’arrière-petit-fils du fondateur de l’Atelier Tuffery, a indiqué qu’avec sa compagne, son père et son oncle, il mettait en route une petite unité de fabrication de masques.

Des demandes qui explosent
La boutique/showroom de l’Atelier Tuffery a fermé ses portes depuis le 13 mars ; les 16 salariés sont en chômage partiel, à l’exception d’une artisane qui a emporté chez elle une machine à coudre, en sorte de télétravail. Pour autant, l’atelier de production n’est pas (encore ?) à l’arrêt total. « La situation est très anxiogène mais dans cette morosité ambiante, le bon sens lozérien et cévenol nous a fait nous demander de quelle façon nous pouvions être utiles, exprime Julien Tuffery. En parallèle, le ministère a lancé un appel aux ateliers textiles pour essayer de trouver des solutions face à la pénurie de masques. Nous avons donc souhaité répondre à cette demande implicite. Nous sommes bien sûr limités par la capacité de production – 300 masques par jour. »
Non certifiés médicalement, ces masques de protection simple, distribués gratuitement, sont en priorité destinés aux soignants, aux centres médico-sociaux ou aux établissements paramédicaux… L’entreprise, limitée également par sa capacité d’emballage et d’expédition, approvisionne le bassin local, notamment la pharmacie du village qui sert de relais.
« Les demandes ne cessent d’affluer. Pour l’instant, nous faisons face à l’urgence locale, après… c’est l’incertitude », s’inquiète le jeune dirigeant.

Des hauts et des bas
Pourtant, il y a encore trois semaines, les carnets de commandes de l’Atelier Tuffery étaient pleins et les machines tournaient à plein régime pour produire une moyenne de 60 à 80 jeans par jour – contre à peine une vingtaine actuellement.
Créée en 1892 par Célestin Tuffery, le pionnier du jean français, la manufacture n’en est pas à ses premiers déboires. Lorsque Julien Tuffery et sa compagne Myriam l’ont reprise il y a cinq ans, elle était au bord du gouffre. Après des années florissantes jusqu’à s’affirmer comme leader mondial dans les années 50 et 60 sous la marque Tuff’s, l’atelier a été victime du déclin historique de l’industrie textile en France, puis des délocalisations en Asie.
« Nous avons fait un énorme travail de sauvegarde du savoir-faire et de modernisation de la manufacture », résume l’arrière-petit-fils du fondateur. En 2017, 1 M€ a été investi dans la construction d’un nouvel atelier permettant de multiplier par dix la production. Deux ans plus tard, la société affichait une santé flamboyante et réalisait un CA annuel de 1,4 M€.
Pour réussir à remettre en lumière « ce trésor » de l’industrie, la quatrième génération de maîtres tailleurs confectionneurs a repris les trois codes familiaux de l’Atelier : savoir-faire, matière et innovation.
Convaincu que la clé de la réussite passe par la transmission du savoir – et parce qu’il n’existe aucune école apprenant le métier du jean – l’Atelier Tuffery forme pendant quatorze mois son personnel à la polyvalence des postes. « Le travail à la chaîne sur des lignes de production est impensable pour la jeune génération. L’émancipation du salarié passe par la polyvalence, la flexibilité du travail et l’alternance des postes », affirme Julien Tuffery.

Le premier jean au monde en laine
Sur les pas de son père qui a toujours refusé de délocaliser, le jeune dirigeant pousse toujours plus loin la démarche éthique et écoresponsable : circuits courts, maîtrise des matières, recherche de procédés les moins polluants pour la teinture… Rêvant d’une alternative à la filière coton, il tisse des partenariats avec des agriculteurs et éleveurs locaux pour pouvoir créer des jeans à l’aspect naturel. Après l’utilisation du chanvre qui a permis de dynamiser la jeune coopérative VirgoCoop à Cahors, l’Atelier Tuffery a lancé il y a deux ans le premier jean au monde en laine.
« La laine et le chanvre sont deux filières endémiques de notre territoire, tout comme le lin sur lequel nous misons beaucoup. Cela paraît évident de redynamiser ces filières. Ainsi notre jean en laine est fabriqué à partir de laine mérinos d’Arles ou de la laine Lacaune du Causse Méjean. Les laines sont tondues sur les exploitations, triées et rigoureusement sélectionnées, puis lavées en Haute-Loire, et filées dans le Tarn. Faire voyager un jean à l’autre bout de la planète est une connerie alors que nous pouvons valoriser les talents locaux, l’artisanat de notre territoire. Il s’agit pour nous de proposer un mode de consommation alternatif avec une vision de la mode qui revient aux sources du vêtement. » Une démarche qui a un prix : pour un jean vendu 110 €, le coût s’élève à 60 €, et le prix des modèles de jean en chanvre ou laine atteint 220 €.

Made with bon sens
Pour optimiser ces coûts de fabrication, l’Atelier Tuffery s’est positionné sur la vente directe, dans son showroom, et sur Internet (70 % du CA). Très présente sur les réseaux sociaux, la marque, qui propose une cinquantaine de produits, homme et femme, surfe sur la tendance du Made in France. « Ici, nous préférons dire Made with bon sens », relève Julien Tuffery. Il y a quelques semaines, le jeune homme prévoyait de tripler la surface de l’Atelier pour booster sa production. Entretemps la pandémie du Covid-19 est passée par là. L’Atelier Tuffery va continuer à faire ce qu’il a toujours fait : s’adapter.

150 entreprises régionales engagées

Mandatée par la Région, l’agence Ad’Occ a déjà recensé 150 entreprises régionales engagées dans une démarche d’augmentation de production ou de réorientation d’activité. Elle les accompagne afin de qualifier les projets pouvant bénéficier des aides mises en place face à l’urgence.
A titre d’exemples, la Région cite l’Atelier Tuffery, mais aussi : Paul Boyé Technologies à Labarthe-sur-Lèze (31). Cette entreprise fabrique 1 million de masques FFP1 et FFP2 par semaine et en produira 2,5 millions sous peu. L’entreprise Nayrac, à Landorthe (31), qui fabrique de nouveaux types de masques réutilisables et agréés par la DGA (objectif de 3 000 masques par jour). L’entreprise Eminence à Aimargues (30) qui diversifie son activité de fabrication de sous-vêtements pour hommes vers la production de masques. FEMSO industries à Aucamville (31) intervenant dans le domaine de l’aéronautique et qui réoriente sa production pour fournir des visières de protection destinées aux personnels soignants (400 kits/jour)…