» Les Français sont les plus grands cinéphiles d’Europe ! » C’est en ces termes que Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) rendait public, le 25 septembre dernier, l’étude annuelle de cette autorité indépendante sur la fréquentation des salles de cinéma. Selon les chiffres 2017, près de 70 % des Français ont un cinéma près de chez eux. La région Occitanie, dotée d’un parc cinématographique de 212 cinémas dont 23 multiplexes (lire encadré).

Les multiplexes au cœur du débat
Le secteur est d’ailleurs en pleine ébullition avec plusieurs projets d’implantations de salles : à Foix dans l’Ariège où la mairie planche sur un multiplexe, à Béziers où un parc à thème sur le cinéma prend forme au domaine de Bayssan, à Frontignan et Balaruc-les-Bains où un duel politique oppose les maires autour de deux projets opposés, etc. Dans les villes moyennes et les villes universitaires, la concurrence est rude, chacun veut son écran noir ou sa myriade de toiles pour « atteindre les trois publics cibles du cinéma : les catégories supérieures, les étudiants et les seniors », selon l’expertise du CNC. Au cœur des débats ? Le multiplexe et l’émergence dans les années 1990 d’un nouveau type d’exploitants de salles imposant une vision très économique du 7e art. Selon la définition officielle, le multiplexe dispose d’au moins huit salles (en dessous, on parle de miniplexe) et doit obtenir l’aval de la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) s’il compte plus de 1 000 sièges. Ces gigantesques équipements le plus souvent implantés à la périphérie des villes, dotés d’écrans dernier cri, comptent de plus en plus sur la vente de produits dérivés pour atteindre la rentabilité, les films y étant assimilés à des « produits d’appel pour vendre du pop-corn », dénonçait déjà dans les années 2000 l’Association des auteurs réalisateurs producteurs. Trente ans après, le scénario n’a guère changé. Les multiplexes fascinent autant qu’ils cristallisent les craintes, des voix s’élèvent contre les risques d’une désertification urbaine, les exploitants de salles de centre-ville étant les premiers à critiquer les dangers d’une dérive trop importante des spectateurs vers ces complexes péri-urbains, comme c’est arrivé à Montpellier.

Odysseum : le cinéma aux 17 salles
Il y a vingt ans, l’ancien maire de la Ville, Georges Frêche, avait provoqué une levée de boucliers en présentant un projet de multiplexe de 4 000 places au milieu de nulle part, dans ce qui allait devenir le centre commercial Odysseum. Le pari était osé : inciter les passionnés de cinéma à faire la route jusqu’à « un champ de colza », selon l’expression de Maïa Vincent, responsable de l’exploitation du cinéma Gaumont Multiplexe. À l’époque, la riposte des cinémas de centre-ville Diagonal, spécialisés dans la diffusion d’œuvres en version originale, avait été immédiate et tenace… jusqu’à ce qu’un accord soit conclu à la satisfaction des deux parties : l’ancien cinéma Capitole (six salles) de la rue de Verdun autrefois exploité par Gaumont, était confié à la gestion du réseau indépendant Diagonal. Le 1er avril 1998, le cinéma Gaumont Multiplexe ouvrait ses portes à Odysseum. Il a accueilli en 2017 dans ses 17 salles 1,4 million de spectateurs, se hissant au Top 5 des cinémas Gaumont Pathé en France. Si à Montpellier, l’affaire Diagonal-Gaumont semble apporter la preuve que les deux formes de cinéma peuvent coexister, les batailles restent âpres quand il en va de l’aménagement d’un territoire. Le cas de Frontignan dont le projet de miniplexe Première Cinémas, porté depuis cinq ans par le maire Pierre Bouldoire, vient d’être débouté, est digne d’une série TV à rebondissements.

Frontignan-Balaruc : le duel
Les habitants de Frontignan s’y voyaient déjà : six nouvelles salles de cinéma (744 places) avec des écrans et du matériel de projection dernier cri pour venir remplacer le CinéMistral du centre-ville, trop à l’étroit avec sa salle unique de 149 fauteuils. En octobre dernier, la Commission nationale d’aménagement cinématographique (CNAC) avait approuvé le projet de miniplexe de Pierre Bouldoire. Mais François Commeinhes, le maire de Sète et président de Sète Agglopôle Méditerranée, a contre-attaqué avec un recours et la présentation en urgence d’un nouveau projet de multiplexe à Balaruc-les-Bains. Alors qu’une nouvelle décision de la CNAC est attendue le 9 mai, la concurrence que se livrent les deux complexes, attisée par leur proximité géographique sur le bassin de Thau, ne semble pas poser problème au maire de Frontignan. « Ce qu’on sait, c’est que le projet de Frontignan se fera, martèle-t-il. Avec un record de 58 000 entrées réalisé en 2018, le CinéMistral compte parmi les salles les plus fréquentées de France avec une courbe de croissance constante depuis sa création, en 2008. Sur le bassin de Thau, il y a un potentiel pour créer 14 salles de cinéma, en ouvrir 6 ici et 8 à Balaruc, c’est commercialement viable », avance l’élu.

Lieux culturels de proximité
Ce recours n’est pas nouveau dans l’histoire du cinéma, il serait même un passage obligé pour tout projet à l’étude à l’instar de Cap Ciné à Nîmes, attaqué en 2013 par le Belge Kinepolis déjà présent dans le Gard. Ou du multiplexe de Saint-Gély-du-Fesc confié à l’exploitant Megarama qui a ouvert ses portes en septembre 2017, après dix années de bataille juridique avec les riverains. A contrario, le multiplexe de Palmiers dans l’Ariège, rejeté pour la seconde fois par la CNAC en décembre 2018, illustre depuis vingt ans les difficultés de développement pour les villes moyennes situées autour d’une métropole (en l’occurrence Toulouse). « Pour de nombreuses communes, les salles de cinéma sont les derniers lieux culturels de proximité », insiste Frédérique Bredin, en soulignant au passage « le rôle essentiel des salles Art et Essai qui permettent de découvrir toute la diversité du cinéma et de voir ou revoir les grandes œuvres du patrimoine ! » L’étude du CNC est à cet égard édifiante. Elle révèle que c’est en Lozère que les films français réalisent l’une de leurs meilleures parts de marché de France, avec 48 % des entrées contre 37 % sur le plan national. C’est également dans ce département que les films Art et Essai réalisent l’une de leurs plus fortes parts de marché avec 31 % des entrées. Ce constat vient conforter le combat politique que mène Pierre Bouldoire pour sa commune et pour les habitants du bassin. Avec le miniplexe Première Cinémas qui intègre un projet de reconquête industriel dans les anciens chais Botta en bordure de canal, l’élu défend une certaine idée du 7e art. « Il y a au fond deux façons de regarder le cinéma, avance-t-il. Soit on le considère dans son aspect commercial et l’on crée un multiplexe classique en zone commerciale, habillé d’un peu de cinéma d’Art et Essai pour que Monsieur tout le monde prenne la voiture et aille manger du pop-corn, soit on défend l’idée que le cinéma est un moyen de diffusion de la culture, de la connaissance, un support au débat, un lieu d’animation sociétale ». L’exemple de Frontignan privilégiant la qualité avec des soirées débats, des projections Art et Essai, jeune public, etc., indique qu’il existe d’autres voies et que le cinéma est un mot qui peut se décliner au pluriel.

Une saga inédite dans le cinéma français

Depuis 114 ans, la famille Font gère un petit empire, porté aujourd’hui par le charismatique Jacques Font, surnommé dans son fief perpignanais Monsieur Cinéma.

C’est à Barcelone que tout a commencé. « Mon arrière-grand-père et son fils tenaient un petit bar-restaurant. En se rendant à la foire universelle, ils ont vu des images qui tournaient sur un écran. Ils ont expérimenté le procédé dans leur arrière-salle et le succès a été immédiat. Ils ont alors créé en 1905 leur premier cinéma, puis un second en 1908. Mon grand-père Joan est ensuite parti en France et dès 1911, il a ouvert le Castillet, premier cinéma en dur à Perpignan, aujourd’hui classé Monument historique », raconte Jaques Font. Entré dans l’entreprise en 1983, il évite, dit-il, la dilapidation de l’héritage suite à des dissensions familiales. Plutôt considéré comme gauchiste, ce post-soixante-huitard ne se rêvait pas « patron ». Pourtant, dix ans seulement après son arrivée, il se retrouve en position de monopole à Perpignan. En 2002, il lance avec le CGR le méga Castillet, à Rivesaltes. Dernièrement, il a investi 3,8M€ dans la rénovation de ce vaisseau disposant de 14 salles et 4 restaurants intégrés. Un multiplexe à la pointe (fauteuils loveseat, salle premium dotée d’un double projecteur 4K…) qui accueille jusqu’à 850 000 spectateurs, friands de blockbusters mais aussi de cinéma d’Art et Essai.
À la tête de la SNES (société catalane d’exploitation de salles de cinéma dont il détient 75 % de parts, et son associé Philippe Julia 25 %), Jacques Font possède également des salles à Saint-Lô (9), Cholet (10), Boussy-Saint-Antoine (5). En décembre dernier, il a ouvert 7 salles dans le quartier des Batignolles à Paris (17e), en association avec les réalisateurs Djamel Bensalah et Isaac Sharry, ainsi que le groupe Pathé. Soit un investissement de 14,5M€ pour ce multiplexe nouvelle génération. Pour 2020, il projette le même investissement, cette fois à Maurepas, dans les Yvelines.
« On assiste à une vraie concentration au niveau de la création, de la distribution et de l’exploitation, aussi il est important, sur un marché de monopole, de toujours progresser », professe l’exploitant qui travaille aujourd’hui avec son fils aîné. Cinquième génération. La relève est assurée. Pas de clap de fin.

 

Cinéma de quartier à Toulouse

Elle s’est fait attendre… Annoncée en 2016, l’ouverture du cinéma Utopia Borderouge sera officielle le 17 avril. Le chantier s’est heurté à un écueil technique : le passage du métro sous le bâtiment. Délais de livraison allongés et coût révisé donc, mais le feu vert a finalement été donné.
Outre la promotion d’un cinéma « Art et Essai », déjà existant avec Utopia Tournefeuille, American Cosmograph et Le Cratère, Utopia Borderouge s’inscrit dans un aménagement urbain porté par la Ville et la Métropole. Il est l’une des pierres angulaires d’un projet qui se déploie autour du Carré de la Maourine, qui porte la mémoire maraîchère de ce territoire du nord-est toulousain.
La salle revendique sa vocation familiale et son ambition de tisser du lien social. Équipée de trois petites salles, quelque 300 places au total, d’une salle de réunion ouverte aux associations et d’un bistrot « paysan », elle complète une offre d’équipements, de services publics et de commerces de proximité.
Toulouse et sa métropole assouvissent l’appétit de sa population pour le 7e Art : les 23 complexes de cinéma ont encaissé l’équivalent de 4,7 millions d’entrées en 2017. Une offre qui sera bientôt complétée, cette fois par des équipements plus grands. Un multiplexe d’un peu plus de 2000 places sera prochainement implanté à Basso Cambo, dans le cadre du programme de rénovation urbaine du quartier du Grand Mirail, au sud-est de la Ville rose.