Enregistré en live avec une folle énergie, le quatrième album de Jur est un kaléidoscope, à l’image de cette jeune femme, au physique de Lou Doillon. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder le clip un peu barré d’Il était fou, titre de l’album éponyme. Veste claire en peluche et bottines, Jur Domingo y gesticule ventre à l’air, arrondi par la grossesse. « Je voulais un souvenir artistique de mon ventre avec l’idée de confronter ce corps étonnant au cinéma, explique Jur. C’est Julien qui a filmé. » Julien Vittecoq, son compagnon, photographe, danseur (avec le chorégraphe Andy de Groat) et musicien (piano, accordéon), elle l’a rencontré il y a une quinzaine d’années au Lido, centre des arts du cirque à Toulouse. « J’aimais écrire des chansons, mais je n’avais pas la voix. Ma rencontre avec Jur a été explosive », raconte Julien, amusé.

La grande ménagerie
Dès 2006, le duo crée la Cridacompany et propose des spectacles étranges, percutants, souvent inclassables et bourrés de surprises. De la Suède au Mexique, en passant par l’Afrique, le couple invente un nouveau langage entre cirque et danse, chant et performance, distillant un art brut, râpeux. Et Jur pose sa voix rauque, improvisant, hurlant, s’exprimant en français, espagnol, catalan. « C’est Julien qui m’a donné le virus de la musique, il m’a fait écouter de la chanson française, Gainsbourg, Bashung, Lhasa… J’ai découvert la force des mots », raconte Jur. En musique, très vite, le duo s’enrichit et devient quatuor avec l’arrivée de Nicolas Arnould (guitare) et Frédéric Cavallin (batterie). Juste Ici, le premier album voit le jour en 2009, suivi de Ladrona (2010) puis Fossile (2014). Pour chacun, Jur jongle avec sa voix, entre cris et chuchotements. Une voix qu’elle travaille comme elle s’échauffe physiquement lors de ses acrobaties. « Ce n’est pas seulement du chant, tout le corps est engagé », dit-elle. « Jur n’a jamais pris un cours de chant, concède fièrement Julien. Du blues au rock, en passant par du lyrique, elle peut tout faire. »

17 morceaux hallucinants
C’est parce qu’elle voulait retrouver toute l’énergie de la scène et des concerts que Jur a souhaité enregistrer son quatrième album en live. « Jur improvise souvent, aucun des albums enregistrés en studio n’a la force des concerts », résume Julien. « En discutant avec les gens, il y avait toujours un retour différent entre ce que nous exprimions sur scène et nos enregistrements, complète Jur. Aussi, nous avons décidé d’enregistrer l’album, deux soirs, au théâtre La Commanderie (200 places) à Vaour (Tarn). Pour des raisons de distribution, les applaudissements ont été coupés au montage. »
À marée basse ouvre l’album, voix grave servie par une instrumentation feutrée. Parfaitement calibrés, piano, guitare et accordéon tracent sur cet album une ligne mélodique efficace, épaulés exceptionnellement par la contrebasse de Mathias Imbert et les tuba et conque de Daniel Malavergne. 17 morceaux, des reprises pour l’essentiel. Jur oscille entre gravité et légèreté, emphase et introspection. Avec Intrusa, elle effleure les rives tziganes, morceau qu’elle a écrit pour le film Geronimo du cinéaste Tony Gatlif. Les titres s’enchaînent et glissent, jusqu’à la joyeuse et entêtante mélodie de Il était fou, et se clôturent par Follow me. Invitation à suivre ce couple hors pair qui, sans label ni tourneur, s’est déjà produit dans 300 concerts et va prochainement participer au Festival Pas des poissons, des chansons avec Feu ! Chatterton et Juliette.
Insatiable et infatigable malgré leurs deux enfants en bas âge, le couple puise son énergie dans la création. « J’ai tout le temps des idées folles et des fois, je suis à côté de la plaque, reconnaît Jur. Julien me tempère. » Enfin… un nouvel album, aux sonorités plus électroniques, est déjà dans les cartons (6 chansons sont écrites) et devrait sortir en 2020.
Côté créations circassiennes, Cridacompany a monté un cabaret avec la compagnie Lubat de Jazzcogne. En parallèle, elle prépare un nouveau spectacle (Azul), avec le comédien, metteur en scène et auteur Eric Da Silva. Le télescopage de deux univers très incarnés risque bien de faire des étincelles. Une chose est sûre : le spectateur n’en sortira pas indemne. n

cridacie@gmail.com
Du 29 au 31 mars 2019 : Jur, concert à Annonay dans le cadre du Festival Pas des poissons, des chansons !
– Le 6 avril 2019 : Jur, concert au Théâtre Le Colombier, Les Cabanes (81)