Présenté en mars dernier au théâtre Jean Vilar de Montpellier, en coproduction avec le Cratère d’Alès et Montpellier Danse, Héritage, la dernière création du chorégraphe Hamid El Kabouss a pu dérouter les spectateurs. Sur les volutes microtonales de la trompette d’Ibrahim Maalouf, quatre danseurs (1 femme, 3 hommes) ont dévoilé une chorégraphie aux emprunts multiples, alliant pas de danse contemporaine, postures hip-hop, fragments de jonglerie et d’art performance. Parfois burlesque, un brin illusionniste par ses effets de lumière, le spectacle a égrené, tel un kaléidoscope, les influences qui ont forgé la personnalité bigarrée de son auteur, Hamid El Kabouss.
« L’héritage, c’est une empreinte, une signature comme les quarts de ton de la trompette d’Ibrahim Maalouf (héritée de son père – NDLR) qui apportent une touche orientale à sa musique jazzy. Ces quatre pistons m’ont inspiré cette histoire de transmission et m’ont ouvert d’autres portes : un tableau de Magritte, Le Cri de Munch ou encore Le Penseur de Rodin », explique le chorégraphe qui ne cesse de nourrir son travail scénique de sensations vécues.

En mode miroir
Né en 1979 à Casablanca, Hamid El Kabouss a commencé ses premières figures acrobatiques dès l’âge de 7 ans avant de croiser sur la plage des danseurs « qui tournaient sur la tête. Je suis resté 4 heures à les regarder », se souvient-il. Le virus du hip-hop est là, le jeune garçon s’entraîne en secret – la danse était alors interdite au Maroc –, participe à des battles, les gagne, puis fréquente en 2000 l’École de danse contemporaine Véronique Honegger avant de cofonder la compagnie Salama. En 2006, poussé par sa soif d’apprentissage, il quitte le Maroc et s’installe à Montpellier parce qu’il trouve dans cette ville « une vraie sensibilisation à la danse avec un public réactif et connecté ». Primé en free-style, break dance puis house dance, il fonde sa compagnie MIM.H en 2009 : « Au Maroc, il me manquait la liberté d’expression. J’ai créé cette compagnie dans l’objectif de raconter et de partager des choses. »
Remarqué par Jean-Paul Montanari, le jeune chorégraphe présente en 2010 Sauce, premier volet d’un triptyque qui s’inspire de son parcours personnel, ingrédient primordial de la recette Kabouss. « Je suis incapable de raconter ou d’imaginer ce que je n’ai pas vécu », avoue le chorégraphe qui peut passer une après-midi en terrasse de café, juste pour observer les gens.

Le métissage comme ADN
Tout comme le hip-hop se nourrit de multiples influences, Hamid El Kabouss se frotte à toutes les cultures. Un film avec Charlie Chaplin ou Buster Keaton, un livre de Tahar Ben Jelloun, un graffiti ou une fresque, du jazz ou de l’électro… l’éclectisme l’inspire.
« Toutes ces références me ramènent au mouvement », dit-il simplement. Parfois c’est du grand écart comme lorsqu’il crée, pour l’Opéra national de Montpellier, la chorégraphie de La boîte à joujoux de Claude Debussy, succès phénoménal qui sera suivi en 2017, des 4 saisons… remix. Entre-temps, il inaugure la ligne 4 du tramway de Montpellier avec Barok, chorégraphie hip-hop sur fond de musique baroque avec 20 danseurs et circassiens. « J’ai adoré », s’exclame-t-il. C’est en voyant son travail que Denis Lafaurie, directeur du Cratère, scène nationale d’Alès, lui propose d’être chorégraphe associé.
« Le Cratère mène des actions de médiation pour sensibiliser le public alésien. La transmission est primordiale, sans cela, la création se cristallise. Mais cela va dans les deux sens : ce que je propose dans les ateliers m’aide à préparer mes prochaines pièces. J’aimerais pouvoir toucher un public empêché qui n’a pas l’habitude de venir au théâtre. Récemment, nous avons invité des enfants de la Paillade à l’Opéra Comédie. Un gamin est venu me voir et m’a dit : je n’ai rien vu du spectacle, je n’ai fait que regarder la salle (…). J’ai trouvé ça génial ».
L’an dernier, Hamid El Kabouss était en repérage au Mexique pour Séduction, sa nouvelle création. Une chorégraphie pour cinq danseurs mexicains, qui se croisent, se rencontrent, se côtoient et évoluent autour d’une table symbolisant un mur (entre USA et Mexique), un bar (convivialité, échanges…) ou un cadre (une majorité des jeunes Mexicains vivent chez leurs parents). Déjà jouée au Mexique, la pièce sera présentée en novembre prochain en France, au Cratère et au Théâtre Jean Vilar. D’ici là, pas question de s’arrêter. Hamid el Kabouss projette d’écrire l’histoire de sa mère. Un retour aux racines avec en toile de fond l’humain. Encore et pour toujours.