Éditorial 51

Par Fabrice Massé

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Au théâtre, on a préféré la musique classique et la danse

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Où est la place de la Comédie ?

C’est un paradoxe. Alors que la place de la Comédie est le cœur de Montpellier, le théâtre se joue majoritairement loin de l’Opéra éponyme.
Tout centre dramatique national (CDN) qu’il soit, c’est sur le domaine de Grammont, à 5 km de cette place historique, que le théâtre hTh lève son rideau. Son directeur Rodrigo Garcia le déplore, comme l’un de ses prédécesseurs, Jean-Claude Fall. Curieusement, cet éloignement de la ville vaut aussi pour la quasi-totalité des grands théâtres de la métropole montpelliéraine : Jean Vilar à la Paillade, le Domaine d’O à Malbosc, le chai du Terral à Saint-Jean-de-Védas et le théâtre Jacques Cœur au Mas d’Encivade de Lattes. Il n’y a que le théâtre de la Vignette qui, dans le quartier des universités, se rapproche à peine de l’Écusson.

Hasard ? Pas sûr. Choix politique ? Voire. Car depuis Molière, le registre de la critique des mœurs a largement abondé la création théâtrale, pour le plus grand plaisir du public et des relais d’opinion, généralement réceptifs. Aujourd’hui, cette liberté a-t-elle fini par lasser çà et là les pouvoirs en place ? Possible s’il on en croit le chercheur en science politique Emmanuel Négrier (lire page 29). Si Molière fut protégé jusqu’à sa mort, malgré les vives polémiques de son Tartuffe notamment, il n’en va pas de soi pour tous les comédiens, y compris de l’ère post Malraux ou Lang. Certes, dans l’histoire contemporaine, l’idéologie soixante-huitarde et la décentralisation ont conduit bien des troupes à fréquenter les banlieues, avec l’éducation populaire chevillée au corps. Mais, dans la majorité des villes françaises, on a su garder en centre-ville une programmation théâtrale ambitieuse. À ce titre, Montpellier fait donc plutôt figure d’exception. Au théâtre, on a préféré la musique classique et la danse, le cinéma et ses stars, avec Cinemed, plus consensuels sans doute. À eux les feux des projecteurs des prestigieux Opéra Comédie et Corum.

Est-ce alors une question d’ego qui pousse les directeurs de théâtre de Grammont à revendiquer un retour d’exil ? Pour être au centre et non au ban ? Étymologiquement, c’est ce que banlieue signifie. On peut le voir comme cela. On peut aussi considérer cette demande d’attention comme légitime. En tout cas, si l’on veut que d’autres « stars » de la scène contemporaine comme Rodrigo Garcia acceptent de diriger un grand théâtre montpelliérain.

À l’heure où la défiance vis-à-vis de la culture se fait aiguë, planifier ce retour historique du théâtre au cœur de la cité serait une manière de le protéger, et à travers lui, la culture en général. Ce serait un acte politique fort, une vision démocratique, éclairée, de son rôle dans la cité.

Paradoxalement, maintenir en périphérie la quasi-exclusivité de l’offre théâtrale* au prétexte de la porter auprès d’un « autre public » paraîtrait volontiers démagogique. Comme le sport, la culture a besoin de son élite, et l’élite d’un outil à sa mesure, comme à Toulouse, le TNT, Théâtre de la Cité… Au 1, rue Pierre Baudis. Bien plus qu’un symbole.

Comme pour illustrer ce débat, la salle de spectacle sortieOuest à Béziers est elle-même en souffrance. Menacée par la réforme territoriale et par le « populisme », selon l’homme de théâtre Jean Varela qui la dirige, sa mission décentralisatrice auprès d’un autre public risque de perdre de sa fougue.

Rodrigo Garcia quittera son poste à l’issue de son contrat : « Quatre années à ramer à contre-courant sont plus que suffisantes, surtout lorsque l’on ne reçoit aucun signe d’encouragement de ceux qui soutiennent économiquement ce théâtre », explique-t-il.