Éditorial 71

Par Fabrice Massé

«

J’allège mon cœur en suspendant cette pierre

»

Les voies de la gratuité

À l’instar de LineUp, cette association qui organise des visites guidées de street art dans des villes de l’Hérault, on aimerait pouvoir musarder, flâner, circuler, traverser les rues d’Occitanie le nez au vent, le soleil dans l’œil et le cœur léger.

Hélas, par les embouteillages qui nous stressent, notamment quand vient l’heure du couvre-feu, les rues restent plus que jamais des lieux étrangers à la convivialité.

Ou alors, mais c’est un comble, lors de manifestations, lorsqu’elles se déroulent dans le calme. Les raisons de ces mobilisations de masse, qui dernièrement réunissaient les étudiants fantômes ou les opposants au projet de loi « Sécurité globale », n’ont cependant rien de réjouissant.
Elles expriment, au contraire, au mieux, la lassitude de ceux qui souffrent de ne plus disposer que de ce moyen pour renaître à une vie sociale, essentielle, et aujourd’hui empêchée. Privés de liberté, parfois d’argent, d’amour et d’amitié, nous voilà résolus, pour toute respiration, à ne circuler que masqués sous la menace diffuse de ce virus invisible, dans le bruit et la pollution des bouchons ou des manifestations… tandis qu’un gouvernement jupitérien prétend gérer seul la crise, les crises, pour notre bien.

Une information peut cependant nous ravir. Bientôt, à Montpellier et dans toute l’Occitanie, les transports collectifs seront gratuits. Après la Ville avec les bus et les trams, la Région expérimente à son tour l’offre pour ses trains au profit des 18-26 ans. Pour les étudiants concernés, cette bonne nouvelle sera sans doute une bouffée d’oxygène, même si trains et bus rouleront pour partie à l’hydrogène.
Pour les autres – les plus optimistes d’entre eux en tout cas –, cet alignement de pratiques vertueuses en matière de transports collectifs ouvre tout de même la voie à une solution, à terme, plus salutaire encore : le tissage d’un réseau dense et gratuit pour tous, sans condition.

Sur le bien-nommé boulevard de la Liberté, par exemple, mieux vaudrait, en effet, une circulation lente et clairsemée de bus, des cars interurbains, pour libérer les quartiers que cet axe asphyxie littéralement, et qui tue, notamment aux abords des établissements scolaires. Même électriques, les voitures restent une menace.

Mais retour au réel ; nous n’y sommes par encore.

Aujourd’hui, au théâtre, les pièces se jouent sans public, les films sortent sur Netflix, les concerts, expositions, conférences, l’enseignement ne sont plus que virtuels. En cela, la culture existe-t-elle encore ? Quand son objet consiste à produire des rencontres, du sens, des idées, du débat ? Dans la rue, avec l’art de LineUp, comme on l’a vu. Ailleurs, on résiste.

En une, cette pierre qui semble barrer le chemin est en fait suspendue par le tissage habile de fils de pêche. L’œuvre de l’artiste Kroust. « J’allège mon cœur en suspendant cette pierre » explique-t-il.