Éditorial 56

Par Fabrice Massé

«

Stétié offre son siècle et les suivants pour le suivre
 

»

Les villes sont rêvées

– Pourquoi écrivez-vous que l’entrée de la couleur dans la ville est un leurre ?
– Parce que les villes sont rêvées. Dès que vous entrez dans une ville, vous entrez dans son propre rêve, comme si vous voyiez la ville de nuit, dans votre rêverie. Vous comprenez ?

Le 10 décembre dernier, Salah Stétié était présent pour l’inauguration de l’exposition permanente de sa donation au musée Paul Valéry. 70 œuvres : peintures, dessins, photographies ou encore sculptures ; 14 manuscrits et 187 livres réalisés en collaboration avec des artistes rejoignent ainsi le musée du mont Saint-Clair, à Sète, dont deux salles portent désormais son nom.

À 90 ans, le poète libanais reste un esprit éveillé, moderne, et sa soif de communiquer sa passion pour le verbe, l’art, le monde qui l’entoure capte l’attention de quiconque l’écoute, malgré le grain de sa voix évanescente. Nous étions une poignée de journalistes à l’observer papillonnant d’une œuvre à l’autre et expliquant la genèse de chacune ou presque. Insatiable, il a lu sans lunettes et sans faillir ses propres textes, s’est amusé d’une « pierre tombale » qu’il se destine – une sculpture de Jean Anguera (La plaine traversée V ou le Chemin de nulle part), s’est corrigé sur la date d’un portrait de lui à 20 ans, « non, 21 »…

Par sa vie d’acteur engagé, Salah Stétié témoigne du rôle que la relation avec les artistes peut jouer dans le monde comme dans l’expérience humaine. Journaliste, critique, il fut aussi ambassadeur au Maroc et auprès de l’Unesco. C’est un homme de dialogue qui œuvre pour la paix, et tout spécialement au rapprochement des cultures, des croyances et des identités, dans le contexte de guerre qu’il a connu sur sa terre natale.
De ce compagnonnage qui le lie aux artistes et aux poètes comme Pierre Alechinsky, Jean-Paul Agosti, Jean Anguera, Jacques Clauzel, René Char, Pierre Jean Jouve ou encore Yves Bonnefoy, il puise une œuvre poétique fraternelle qui croit aux forces de l’esprit.
« Moraliste, il offre son siècle et les suivants pour le suivre », prophétise Stéphane Barsacq qui signe le portrait de Stétié dans le catalogue de sa donation.

À leur tour, donc, les jeunes 25 artistes exposés à La Panacée de Montpellier, pour « Crash test, la révolution moléculaire » s’emparent du réel :
« Les activité́s humaines impactent la planè̀te et modifient le climat.
La sé́paration entre nature et culture, invention de l’Occident, touche à̀ sa fin. L’humain, la machine, le vé́gétal, le miné́ral et le règne animal s’entremêlent désormais.
Les artistes d’aujourd’hui prennent en compte ce nouveau paysage, et travaillent la matiè̀re vivante.
Les formes incluent dé́sormais les forces physiques qui les travaillent.
Le ré́alisme contemporain est chimique, biologique, moléculaire, atomiste.
Le pop art se basait sur la sphè̀re de la consommation.
L’art minimal, sur le monde industriel.
Le post-modernisme se focalisait sur la culture, comme identité́ ou sous ses formes populaires.
Les artistes exposé́s dans “Crash test” explorent les nouvelles relations qui s’instaurent entre l’ê̂tre humain et la biosphère, l’univers maté́riel et vivant qui les entoure. » – Nicolas Bourriaud, commissaire de l’exposition.

La ville rêvée en tient compte.