Éditorial 63

Par Fabrice Massé

«

Je me plais à distinguer le réel de la réalité

»

La ville œuvre d’art

Alors que la faculté de médecine de la ville s’apprête à fêter ses 800 ans l’an prochain, c’est l’art qui confirme la grande forme de la culture à Montpellier.
Par son nom, La Panacée (remède à tous les maux), le centre d’art contemporain de son cœur historique inauguré en 2013, avait exposé sa prophylaxie. Restait à s’y tenir et à entretenir le goût toujours confirmé des Montpelliérains par la culture et l’art visuel en particulier.

Il est vrai qu’abriter le berceau de deux grands courants de l’art contemporain français, Figuration libre et Supports/surfaces, dote les villes de Montpellier, Sète et Nîmes, notamment, d’un héritage « génétique » avantageux.
Il n’est pourtant pas si simple à gérer. Encore faut-il en prendre la mesure, se l’approprier, savoir le gérer, le faire prospérer…

Or, par définition, l’art contemporain est une nouveauté permanente. Il surprend, déconcerte, provoque volontiers jusqu’à remettre en question cette même réalité.

Vincent Bioulès, qui affirmait lors de l’inauguration de son exposition à la maison des Consuls, aux Matelles (34), avoir « horreur de la nouveauté », s’inscrit d’ailleurs clairement dans cette négation. Après avoir contesté avec ses amis l’ordre établi des cadres, des musées et des institutions en général, il peint désormais inlassablement les paysages du Pic St Loup et de l’étang de l’Or, comme si l’époque n’avait plus prise sur lui. Comme ses pairs au XVIIIe siècle et bien avant. Il envisage de « se remettre aux nus », confiait celui dont les toiles encadrées sont désormais accrochées aux cimaises des plus classiques institutions françaises et internationales. « Je me plais à distinguer le réel de la réalité », explique Bioulès. Enfant, il commence à peindre le paysage alors qu’il est placé dans une école loin de sa famille : « Une ligne blanche devient tout ce que j’ai perdu. » Aujourd’hui, sa quête semble identique : « Il faut peindre comme si on avait toute la vie devant soi. »

De même avec la Figuration libre : l’art modeste de Di Rosa n’est-il pas d’une certaine manière nihiliste ? Car comment, en effet, l’expression artistique peut-elle être définie comme modeste alors que sa vocation est d’émouvoir un public, et le plus nombreux possible ?
On objectera à juste titre que le dessein de ces artistes de l’art modeste est précisément de ne souvent rien chercher d’autre qu’une paix intérieure. Que leur notoriété relative arrive malgré eux.

Quoi qu’il en soit, ce rôle cathartique de l’art n’en est pas moins réel. Et s’il agit sur un individu, l’artiste – sur son public ému –, l’art a aussi la capacité de changer la ville, sinon la vie.
Pour Nicolas Bourriaud, directeur général du MoCo, apôtre de « l’esthétique relationnelle », l’art est un « générateur d’énergie » qui « produit du dialogue ». En tant que tel, il est bien un outil précieux au service des consciences.

« Le triomphe de Gilgamesh » nous avertit : « Notre victoire sur le monde sera totale, la dernière poche de pétrole vidée pour cuire la dernière poignée d’herbe, mangée avec le dernier rat. » L’œuvre inscrite au burin par le Montpelliérain Dominique Figarella sous le pont de Sète, recouverte aussitôt par des graffeurs et des affiches, démontre pour sa part que si l’art n’est évidemment pas la panacée
il aide à vivre. Quant à la modestie, la sculpture autoportrait sans titre de Lili Reynaud-Dewar, assise à même le bitume – elle aussi dégradée depuis son installation –, elle l’exprime avec un très grand talent, limpide, paradoxal, émouvant. n