Éditorial 68

Par Fabrice Massé

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Un maire condamné pour discrimination peut faire la loi

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« Enfourchez le tigre ! »

Si « le racisme n’a pas sa place dans notre République », comme l’affirmait Christophe Castaner, ministre de l’Interieur, le 8 juin, pourquoi notre République permet-elle d’élire un maire raciste ? Tout comme « un policier, un enseignant, un juge raciste, ce n’est pas anodin, » estime pour sa part Me Henri Leclerc, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme.

À Béziers, 68,7 % des électeurs ont pourtant choisi de placer dans l’urne un bulletin Ménard et d’en faire, outre leur maire, potentiellement leur président d’agglomération. Le sentiment qui semble avoir prévalu est le suivant : « Ménard est raciste, mais quand on voit ce qu’il a fait pour la ville… » Faut-il pour autant en déduire que 68,7 % des Biterrois-es tolèrent, voire adhèrent à cette « idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les “races”; attitude d’hostilité systématique à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes », selon le Larousse ? Et punie par la loi… Pas si simple.

R. Ménard a certes été condamné par la justice française en 2017 pour « provocation à la haine et la discrimination ». Mais il a été absous après le paiement d’une amende de 2 000 euros. Ainsi a-t-il pu poursuivre son mandat, jamais interrompu, et sa politique si particulière engagée dès sa première élection en 2014. Depuis cette date et malgré cette condamnation, la République lui maintient la qualité d’officier de police judiciaire et, à ce titre, le droit de requérir la force publique pour l’exécution de ses missions (article 16 du code de procédure pénale).

Alors pourquoi culpabiliser les Biterrois si, depuis, un homme d’origine maghrébine, Mohamed Gabsi, est mort suite à l’interpellation musclée de « leur police » ? L’institution l’a d’une certaine manière permise. Un maire condamné pour discrimination peut faire la loi – décréter un couvre-feu, en l’espèce – et la faire appliquer par sa police municipale, selon un principe de « Tolérance zéro » d’après un titre du journal municipal dans lequel les bars à chicha biterrois sont stigmatisés. Si une bavure est commise – pire, un homicide –, le même maire peut constater les infractions à la loi pénale lui-même, en rassembler les preuves et en rechercher les auteurs. Ou pas. Last but not least, « il peut, sur instructions du procureur ou du juge d’instruction, être amené à diligenter des enquêtes sur la personnalité des personnes poursuivies ainsi que sur leur situation matérielle, familiale et sociale. »

Cette entorse grave au principe de séparation des pouvoirs, chère à notre République, n’a pour l’instant guère ému. Ni les Biterrois, ni la plupart des Français. Elle maintient pourtant dangereusement ouverte une porte vers un retour aux pires années de notre histoire.
Rendre inéligibles les potentiels candidat-e-s qui ont été condamné-e-s pour discrimination ou haine raciale doit devenir la règle. Sans être constitutionnaliste, comment ne pas s’indigner que le racisme, dans le pays de l’Égalité, de la Fraternité, soit ainsi toléré pour un élu, un policier, un enseignant, un juge… ?

Certes, cette loi priverait d’élection, par exemple, M. Domergue, sur la liste de Philippe Saurel, maire sortant de Montpellier. Condamné lui aussi pour « provocation à la haine et la discrimination », l’ex-député ne devrait pas trop manquer aux Roms. Selon lui, ils « n’ont rien à faire sur le centre-ville » puisqu’« ils empoisonnent la vie des Montpelliérains […] C’est manu militari qu’ils seront sortis du centre-ville » s’il advenait que M. Domergue soit élu. M. Saurel oserait-il lui confier la responsabilité de la police municipale ?
Vu l’échéance climatique, la crise sanitaire, économique… mieux vaut une culture politique qui se réinvente. Qui sache remettre en question cette pensée jupitérienne, intrinsèquement désastreuse, du niveau communal jusqu’à la présidence de la République. « Enfourchez le tigre ! » invitait M. Macron s’adressant aux acteurs de la culture. Mais le tigre c’est vous, M. le Président ! D’une certaine manière, maires et présidents sont des prédateurs s’ils gouvernent sans respect, notamment pour l’équilibre des pouvoirs, la liberté, l’égalité et la fraternité. Ils nous mentent. Certains finissent heureusement par être démasqués. Mais pas tous.