Vers le mitan des années 1920, quelques élèves de l’école des beaux-arts quittent Montpellier pour s’installer à Paris. L’écart d’âge explique qu’ils n’aient pas toujours fait partie des mêmes classes, mais l’exil favorise leur rapprochement. En 1923, Camille Descossy est âgé de 19 ans quand il est reçu aux « Arts Déco », comme le sera Gabriel Couderc deux ans plus tard. Après son service militaire, Georges Dezeuze poursuit sa formation aux Beaux-Arts, dans l’atelier du sculpteur Fernand Boucher. À partir de 1931, s’amorce néanmoins un mouvement de retour. Descossy et Dezeuze rentrent à Montpellier pour enseigner respectivement le dessin et la peinture, tandis que Gabriel Couderc s’est replié chez ses parents, à Sète.

Il « montre le soleil à ses jeunes amis »
Quelques années plus tard, en 1937, les anciens camarades de l’école des beaux-arts choisissent de donner le nom du plus grand peintre montpelliérain moderne, précurseur de l’impressionnisme, Frédéric Bazille, au groupe qu’ils viennent de former, parce qu’il « montre le soleil à ses jeunes amis ». Après les expérimentations esthétiques du début du siècle, les années 1930 agitent en effet avec passion la question du réalisme. Depuis au moins dix ans déjà, André Derain en a fait le cœur de son travail. Dans le contexte politique troublé de l’année 1934, l’exposition « Les Peintres de la réalité » a par ailleurs remporté un grand succès auprès du public, qui cherche à être rassuré sur son « génie national ». Entre 1934 et 1936, le débat est également vif durant la « querelle des réalismes », qui oppose les artistes proches du parti communiste réunis à l’initiative d’Aragon.
Ils sont 12 à participer à l’exposition du groupe qui s’ouvre à la galerie Cournut à Montpellier, le 28 janvier 1937 : à Descossy, Dezeuze et Couderc, sont notamment venus se joindre le dessinateur Albert Dubout, ancien camarade de l’école des beaux-arts. Au-delà des convictions régionalistes qui peuvent animer Dezeuze, fils de l’Escoutaïre et membre du Novèl Lengadoc, mouvement fédéraliste favorable à une renaissance languedocienne, tous les membres du groupe Frédéric Bazille éprouvent le même attachement pour leur terroir. Descossy l’exprime avec une intensité teintée de spiritualité matérialiste : « Au contact de la nature vivante, de la garrigue grouillante, la sève nourricière ne peut que monter du sol, aider à la création indiscutable. »

Alors qu’il a vécu à Paris des débuts fulgurants, Descossy reconnaît chez Bazille le déchirement intérieur et le sentiment de désaccord intime qu’il a éprouvés : « “Je me referai à Montpellier !” Quelle foi contiennent ces cinq mots ! À Montpellier seulement la glace lui renverra son image vraie. Le faux Bazille de Paris fera place, au Clapas, au Bazille dont la ressemblance ne peut échapper. De ces deux personnages, un seul est le bon, il le sait. […] Quel exemple aussi pour tous ceux qui, emplis d’une illusion terrible sur Paris, courent y brûler leur jeunesse, y fondre leur puissance, vont s’y user lentement, attirés par un espoir mal défini, s’arrachant de leur province, foyer simple et vivant, pour respirer sur les bords de la Seine un air asphyxiant de four surchauffé. » Malgré l’enthousiasme et la sincérité des convictions, le groupe se désunit très rapidement. On le voit bien : se placer dans le sillage de Bazille ne consiste pas à faire école, mais revient à postuler que la tradition et le terroir sont les conditions de l’émergence d’un style individuel.

Deux pôles : Montpellier et Sète
Dans l’après-guerre, les anciens camarades occupent des positions sociales différentes, mais mènent tous une double carrière. Sur le littoral méditerranéen, deux pôles émergent très vite : Montpellier et Sète. À Montpellier existe un ensemble de galeries où les jeunes artistes de l’école des beaux-arts trouvent un débouché naturel. Directeur jusqu’en 1967, Descossy enseigne la peinture en maître libéral. À Sète, deux figures opposées œuvrent en symbiose. Gabriel Couderc, à la fois discret et efficace, a pris fermement en main la direction du musée municipal depuis 1946, mène une politique active d’expositions dans les galeries et ambitionne la construction d’un musée qui sera le futur musée Paul Valéry, inauguré en 1970. L’autre personnalité, plus solaire, est installée dans le quartier de la Corniche depuis la fin des années 1940. François Desnoyer alimente dans son atelier un foyer inédit de création. Sa bonhommie et son talent aimantent les artistes qui viennent peindre à ses côtés. Né en 1894, il fait figure d’aîné et ses amitiés avec Albert Marquet et Raoul Dufy, autant que sa carrière et les salles que lui consacre Jean Cassou au Musée national d’art moderne, assurent son prestige. Invité à la biennale de Venise en 1952, Desnoyer rayonne au-delà des frontières.
Entre Montpellier et Sète, la circulation des œuvres, des expositions et des artistes, qui partagent la même formation et ont traversé les mêmes débats, est telle que se reconstitue, plus de quinze ans après, l’idée d’un terroir artistique favorable. C’est le constat auquel semble inviter l’exposition « Peintres de Montpellier et de Sète », qui se tient au Peano de Marseille entre le 6 et le 21 mars 1954 et qui préfigure le groupe appelé à se constituer quelque temps après. Desnoyer, Couderc et Descossy investissent le lieu où expose notamment Pierre Ambrogiani et tiennent à montrer que l’idée de tradition est toujours valide en invitant à leurs côtés trois peintres de la jeune génération : Jean-Raymond Bessil, Gérard Calvet et Pierre Fournel.
Deux ans plus tard, la presse annonce la naissance du groupe Montpellier-Sète avec l’exposition qui se tient au musée Fabre à partir du 6 juin 1956. Le groupe est placé sous l’égide d’un comité de patronage prestigieux, composé des maires des deux villes, de conservateurs, d’historiens de l’art et de personnalités originaires de la région mais possédant un rayonnement national, comme le philosophe Ferdinand Alquié et le fondateur du TNP Jean Vilar.

Libre expression
En 1958, la préface du catalogue de l’exposition du groupe insiste sur la volonté de conciliation présente aussi bien entre les artistes et entre les villes qu’entre les opinions des membres du comité. Les sept peintres qui en forment le cœur, Desnoyer, Descossy, Dezeuze, Couderc, Bessil, Calvet et Fournel partagent en effet la même attitude libérale : chacun possède la capacité d’inviter l’artiste qu’il souhaite mettre en avant. C’est ainsi qu’Adrien Seguin, Jean Milhau, Maurice Élie Sarthou, Jean Fusaro et même Jean Hugo viendront grossir les rangs du groupe le temps d’une ou plusieurs expositions, à Sète, Montpellier ou encore Heidelberg en 1959.
Aucun corpus théorique ne semble fédérer les artistes, qui, au nom de la libre expression du talent individuel, s’efforcent chacun selon sa manière et son style de servir la peinture. Il est en effet difficile de définir un « style Montpellier-Sète ». Quel point commun entre Couderc, tout imprégné de l’enseignement d’André Lhote, et les ciels chargés de Descossy ? Entre la juste rigueur d’un Dezeuze et la flamboyance fauve d’un Desnoyer ? Tous revisitent les grands genres de la peinture et assument de s’inscrire dans une tradition. Mais l’abstraction, associée depuis la guerre, de manière univoque, à l’idée de liberté, n’est pas représentée et, quand, dans les archives du groupe, Pierre Soulages, installé à Sète, est invité par Fournel, son nom finit par être barré.
Choisi comme secrétaire par les autres membres, Fournel déploie, à compter du 12 mars 1964, date où le groupe se constitue en association, un grand talent d’organisateur. Mais, à la mort de Desnoyer en 1972, l’exposition du groupe au musée Paul Valéry signe le début du délitement d’une aventure, qui s’achèvera en 1988 au musée de Lodève.

L’évolution personnelle de Pierre Fournel est emblématique de l’espace de liberté et de création qu’a toujours été le groupe Montpellier-Sète. La reconnaissance que lui ont donnée Desnoyer, Descossy ou Dezeuze n’a jamais été un obstacle aux recherches personnelles qui l’ont conduit, dans ses tableaux de plage, par l’utilisation matiériste du sable, jusqu’au plus près de l’abstraction. Juste au plus près…