« Black lives matter. » C’est au nom de ces trois mots anglais que des milliers de citoyens français ont battu le pavé courant juin. « Black lives matter », pour « La vie des Noirs compte », fait suite au décès de George Floyd par asphyxie lors d’une interpellation musclée par la police de Minneapolis. Un drame US qui a aussitôt rouvert des cicatrices bien françaises : Adama Traoré, Cédric Chouviat, Lamine Dieng… Le mercredi 3 juin à Montpellier, ces noms ont rassemblé 5 000 jeunes sur la place de la Comédie ; la veille à Paris, ils étaient près de 20 000. Sur les pancartes pourtant, un oubli. Mohamed Gabsi.

« Aidez-moi ! Ils vont me tuer »
Mohamed Helmi Gabsi, en situation de grande précarité et atteint de troubles schizophrènes, est décédé le 8 avril dernier à l’âge de 33 ans suite à son arrestation par la police municipale de Béziers. Son délit ? Ne pas avoir respecté le couvre-feu imposé par Robert Ménard, maire soutenu par le Rassemblement national et réélu avec 68,7 % des suffrages dès le 15 mars. Là encore, l’interpellation est musclée. Depuis leur balcon, des voisins filment la scène. On voit un homme crier et résister, mais ici il ne manifeste pas de violence physique à l’encontre des policiers. « Aidez-moi, ils vont me tuer », hurle-t-il entre deux gémissements, avant d’être placé dans le véhicule à l’horizontale. Durant les quelques mètres qui séparent la scène du commissariat, un policier se serait assis « sur les fesses » de Mohamed Gabsi pour le garder immobile. Mais lorsqu’il est extirpé du véhicule, l’agent de police nationale qui accueille les municipaux leur fait remarquer que Mohamed est inconscient. Celui-ci lui prodigue alors un massage cardiaque, mais il est déjà trop tard.

Syndrome asphyxique
Trois jours plus tard, le procureur de Béziers, Raphaël Balland, ouvrait une information judiciaire contre X pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et pour « non-assistance à personne en péril ». D’après les premières conclusions du rapport d’autopsie, Gabsi présente le même « syndrome asphyxique » que l’on retrouve chez Traoré, Chouviat ou Floyd. Le rapport constate également une « compression cervicale antérieure gauche par une surface large, ayant été prolongée et appuyée à l’origine d’infiltrations musculaires, fracture de la corne thyroïdienne et contusion du nerf vague ». Mais si la cause du décès ne peut être précisée avec certitude, Raphaël Balland appelle à la prudence, martelant le « contexte d’intoxication aiguë suite à une prise massive de cocaïne », comme le souligne aussi le rapport toxicologique. Des analyses complémentaires devraient être révélées d’ici la fin du mois de juillet.
Mais pour Houda Gabsi, la sœur de Mohamed, ces quelques phrases « confirment la violence ». « Un peu comme George Floyd qui criait : “Je n’arrive plus à respirer”, Mohamed criait “Ils veulent me tuer” », poursuit Houda, qui s’est portée partie civile pour que « justice soit faite ». Dès le mardi 9 juin, famille, amis et associations se sont regroupés au sein d’un comité de soutien. Parmi eux, la Cimade, SOS Racisme, ou encore la Ligue des droits de l’homme (LDH)… « Le but est de soutenir la famille, mais aussi de montrer aux citoyens qu’il n’y aura pas de passe-droit. Ici, les citoyens ont souvent le sentiment d’une justice à deux vitesses et ce n’est pas normal », argue Xavier Maurice, responsable de la section biterroise de la LDH. « Ce qui est choquant, c’est que l’interpellation était disproportionnée par rapport à la situation. Ils étaient quatre véhicules et douze policiers pour un seul homme », poursuit-il.

Désobéir au pays de Ménard
Et si le militant des droits de l’homme refuse de « politiser » l’histoire, il faut avouer que l’affaire Gabsi est un cas à part. D’abord parce qu’elle a pour cadre la ville de Béziers, dirigée par Robert Ménard, qui a fait de la sécurité et de l’armement des municipaux son cheval de bataille. Ensuite parce qu’elle découle directement du couvre-feu imposé par l’édile en pleine période de Covid-19. Enfin parce que ces violences policières présumées ont été pratiquées par des agents de police municipale, que l’opposition apparente désormais à une sorte de milice acquise aux idéaux de l’élu… En bref, qu’un dispositif sécuritaire purement local et destiné à appuyer la politique d’un maire ait des conséquences aussi dramatiques pose question. « Mohamed n’a pas mérité de mourir si jeune. Mohamed n’a pas mérité de mourir de cette façon. Mohamed n’a pas mérité de mourir pour cette raison, ne pas avoir respecté le confinement. Mohamed n’a pas mérité de mourir, parce qu’il est pauvre, parce qu’il est SDF, parce qu’il a des antécédents. Mohamed est un humain. Mohamed est un citoyen. À ce titre, le respect de sa vie lui était dû », pointe justement l’association des travailleurs maghrébins en France.

« Dans la police municipale, certains appréhendent mal »
Un contexte local particulièrement tendu en somme, qui n’est pas sans conséquences pour la police nationale elle-même… « Nos relations sont un peu compliquées. Il faut respecter les procédures pénales, il y a des règles, et certains agents de la police municipale pensent qu’on peut tenter de les contourner », confie un policier qui préfère garder l’anonymat. Régulièrement, la nationale s’avoue bien obligée de « rattraper des situations et d’apaiser les choses. Oui, on passe souvent derrière eux. Certains appréhendent mal », note l’homme. Les conditions d’appréhension ? Encore et toujours le cœur du problème… PB

 

Un contexte d’incitation à la discrimination xénophobe

La communication agressive et xénophobe de la Ville de Béziers rappelle combien il est impossible de ne pas faire le lien entre la mort de Mohamed Gabsi et le contexte politique dans lequel la police municipale biterroise est incitée à exercer. Dès juillet 2014, au lendemain de sa première élection, le maire de la ville, Robert Ménard, honorait la stèle de quatre membres de la sinistre Organisation armée secrète (OAS), responsables d’attentats et condamnés par la justice française pour assassinats. Depuis, il ne cesse de stigmatiser ses concitoyens d’origine étrangère jusqu’à les menacer directement, notamment par des descentes de police municipale. Ménard pousse l’abjection jusqu’à s’en vanter dans le journal de la Ville (voire ci-contre). Surtout, il a été condamné en 2017 pour « provocation à la haine et la discrimination ». FM