Votre livre est un signal d’alarme face à un réchauffement climatique galopant. Histoire de poser le décor, si nous ne faisons rien, à quoi ressemblera la France en 2050 ?
Pierre Larrouturou : Il faut s’attendre à des canicules de plus en plus élevées. À Montpellier, elles pourront atteindre les 55°. Et elles seront de plus en plus fréquentes, tous les deux ou trois ans. Les conséquences agronomiques seront importantes, parce qu’avec ces températures, c’est tout le cycle de l’eau qui se dérègle. En 2016, la France a perdu 31 % de sa récolte de blé à cause des inondations. Heureusement que l’Europe dispose d’un deuxième grenier à blé, l’Ukraine, qui a pu faire face à la demande. Sinon on aurait connu les tickets de rationnement ! Sans parler des feux de forêt et des incendies de plus en plus nombreux…
Vous évoquez également la question des exilés climatiques…
P. L. : En Afrique, les conséquences du réchauffement seront encore pires. Dans un rapport publié en 2018, la Banque mondiale évalue à 143 millions le nombre de migrants climatiques d’ici à 2050, dont 80 millions d’hommes et de femmes forcés de quitter l’Afrique. Ils seront soumis à des souffrances monstrueuses. Comment gérer cela de manière pacifique et démocratique ? La bonne nouvelle, c’est que l’on peut agir !
Nous avons connaissance des risques depuis plus de 40 ans. Le rapport Charney, commandé par la Maison blanche en 1979, ne laissait déjà aucune place au doute. Pourquoi rien n’a été fait ?
Anne Hessel : Jusqu’ici, les politiques ne prenaient pas la mesure de ce qu’il y avait à faire, car cela remet en question notre manière de concevoir le progrès et le bonheur… Notre chance, à l’heure actuelle, c’est que les manifestations du dérèglement climatique deviennent tangibles.
P. L. : Les lobbys ont également bloqué la réflexion sur toutes ces questions. Mais grâce au travail du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), des médias et grâce aux réalités que l’on vit aujourd’hui, les gens ont pris conscience qu’il fallait agir.
Dans ce livre, vous proposez des solutions concrètes et rapides. En quelques mots, quelle est la marche à suivre ?
A. H. : La Cour des comptes européenne a estimé que pour financer la lutte contre le réchauffement climatique, les 28 devraient débourser 1 115 milliards d’euros par an entre 2021 et 2030. Or nous savons que chaque mois, 80 milliards d’euros vont arriver à la Banque centrale européenne. Ce sont les remboursements des 2 500 milliards qu’elle a prêtés aux banques entre 2015 et 2017 pour booster l’économie… Pourquoi ne pas utiliser cet argent pour le climat ? Cela fera environ 1 000 milliards par an pendant trois ans. Nous proposons de récupérer encore 100 milliards à l’aide d’une taxe de 5 % sur les bénéfices des entreprises…
Et c’est donc une banque européenne du climat qui pourrait gérer ces flux…
A. H. : Cette banque permettrait de ne prêter qu’aux projets compatibles avec la lutte contre le réchauffement climatique : l’agriculture, les rénovations thermiques ou encore le développement de transports non polluants…
Pendant que les gens peinent à boucler leurs fins de mois, difficile d’imaginer que ces sommes colossales ont été mises à disposition des économies nationales…
P. L. : Jamais il n’y a eu autant d’argent disponible ! Mais en réalité, seulement 11 % de ces 2 500 milliards d’euros sont allés dans l’économie réelle. Le reste, soit 89 %, a servi à la spéculation. Le Fonds monétaire international dit lui-même que c’est du n’importe quoi, et qu’en plus de la crise climatique, nous nous dirigeons vers une grave crise financière… Doit-on accepter cette double peine ? Alors que nous avons tout ce qu’il faut pour diviser les gaz à effet de serre par deux et créer massivement de l’emploi d’ici 2030.
À court terme, quelle est la prochaine étape ?
A. H. : Des juristes et des économistes de haut vol, membres de notre association (Agir pour le Climat, NDLR), sont en train de rédiger un traité. Ils sont au travail en ce moment même. Il n’y aura plus qu’à le faire signer par les chefs d’État…
P. L. : Nous pensons que des décisions importantes seront prises lors du sommet européen des 21 et 22 mars… Évidemment, ils ne valideront peut-être pas tout le projet, mais sur 13 ou 14 pages, on peut arriver à se mettre d’accord.
Savez-vous déjà si Emmanuel Macron est sensible à vos propositions ?
A. H. : Je ne vois pas pourquoi il ne signerait pas ce traité. Cela ne coûtera rien, ni à Macron ni à Merkel. Ce pacte veut faire circuler de l’argent déjà utilisé. À l’époque, c’était pour rendre l’économie plus fiable mais cela n’a pas marché !
En parallèle, vous vous engagez pour les européennes avec votre parti Nouvelle donne. Ne craignez-vous pas de politiser le débat et de décrédibiliser le pacte en cas de défaite ?
A. H. : Non, je n’ai pas peur ! Il faut d’abord faire avancer ce pacte. Si Macron le reprend et le porte très fort en Europe, je serai contente. Il est encore là pour trois ans, donc il faut qu’il s’en saisisse, tout comme les forces politiques européennes actuelles ! Mais au sein du parlement européen, je veux des gens pour siéger avec les écolos, je veux des gens à gauche…
Aujourd’hui, des personnalités de tout bord politique soutiennent votre pacte, à l’image de Laurence Parisot (ex-patronne du Medef) ou d’Alain Juppé (maire LR de Bordeaux). Leur adhésion vous a-t-elle surpris ?
A. H. : Non, pas vraiment. Laurence Parisot est une femme remarquablement intelligente. Elle sait comment fonctionne l’argent, et si elle adhère à ce pacte c’est parce qu’elle pense qu’il peut fonctionner. Les gens comme elle ne sont pas heureux d’une situation de chômage galopant et de précarité. Pareil pour Alain Juppé. Il a fait beaucoup de bien à sa ville. Je crois qu’il ne faut pas mélanger Nouvelle donne, notre parti, qui est plutôt ancré à gauche, et le Pacte finance-climat qui est un pacte du bon sens !
En bref, vous proposez un changement de société profond. Pensez-vous que la population y soit prête ?
A. H. : Oui, même si cela ne se fera pas d’un coup de baguette magique. Et puis, il ne s’agit pas d’empêcher les gens de se chauffer, mais plutôt de faire en sorte qu’ils aient besoin de moins de chauffage. Nous voulons aller confortablement vers plus de sobriété, et que le parangon du bonheur ne soit plus d’aller faire les soldes… Je pense qu’on n’en est pas très loin.

 

Un trio de choc

Les auteurs de ce petit ouvrage ne sont pas inconnus au bataillon. L’économiste Pierre Larrouturou a fait ses classes au sein du PS, puis d’Europe écologie les verts, puis… du PS, avant d’en claquer la porte pour créer Nouvelle donne en 2013 ! Anne Hessel est la fille de Stéphane Hessel, auteur de l’incontournable best-seller Indignez-vous, publié chez les Héraultais d’Indigène éditions en 2010. Médecin et chimiste, elle fait aussi partie des membres fondateurs de Nouvelle donne, aux côtés de Susan George ou Patrick Pelloux… Jean Jouzel est un climatologue et glaciologue de renom. Le grand public le connaît surtout pour son rôle d’expert du Giec, prix Nobel de la paix en 2007. Lui et Pierre Larrouturou sont les deux initiateurs du Pacte finance-climat, dont Anne Hessel est la porte-parole.
Finance, Climat, Réveillez-vous !, Indigène éditions, 156 pages, 8 €.